Après 16 jours et 7 heures de jeu non-stop, la partie se termine par la victoire suprême du dresseur de Pokemons collaborativement manipulé. A cet instant, dans le tchat de commandes, les indications de commandes laissent soudainement place à des commentaires d’exultation : sur la capture d’écran saisie ici, 2 concernent l’approche politique (anarchie/démocratie), 4 saluent le puissant Pokemon évolué « Bird Jésus », plusieurs balancent des icon cœurs, et 1 rappelle ce qui est devenu le cri de ralliement de la communauté : « Praise the Helix fossil». Tout au long de la partie, le dresseur s’est trouvé de longs moments à sortir de son inventaire et méditer sur une ressource d’aucune utilité : le fossile Nautile, d’où naissance d’une nouvelle prière cultuelle : le Praise Helix.
Les pokemons, infra-peuple accapareur
Bon. Pokemon est l’univers de jeu qui a massivement détourné les enfants des années 90 du catéchisme des saints, des listes des rois de France, de la connaissance des dinosaures. Soudain chaque enfant devenait dépositaire d’un savoir borgésien de classes, d’attributs et de relations de pouvoir que seule sa génération maîtrisait, à coups d’échanges de cartes dans les cours de récréation et de gloses talmudiques sur les pouvoirs et attaques comparées des divers Pokemon.
J’ai encore sur mon frigo la mention d’une fatwa égyptienne vouant les Pokemon et leur décadence à l’enfer et le Pape n’a pas été loin de produire une encyclique (attention, ici j’exagère).
Ceci pour dire que les "vingtenaires", passés depuis au gaming, aux réseaux sociaux, au streaming, s’en souviennent comme de leur premier hamster virtuel.
Twitch, un réputé site de streaming dédié à la visualisation publique de parties en cours ou sauvegardées, vient d’initier une expérience dépassant toute prévision sociologique et managériale.
Cette petite madeleine reprend l’allure de la GameBoy, version basique et préhistorique, proposant un écran, de perspective 2D couleurs élémentaires, dans lequel il s’agissait alors de capturer et dresser les Pokemons dans une suite de combats qui prenait tout de même un paquet d’heures.
L’idée Twitch
Le site Twitch a tout simplement proposé de mettre en ligne une partie, non seulement visible par tous mais activable par tous les visiteurs à l’aide d’un tchat en parallèle de l’écran de jeu, tchat dont les lignes permettaient de générer les commandes de jeu.
C’est tout simple, presque débile et cela a furieusement marché. Pendant 1 semaine, 80000 joueurs (on a parlé de 120000 joueurs) ont joué avec 1 manette générant 7 mouvements (Haut, Bas, Gauche, Droite, A, B, Start) pour parvenir à une suite de déplacements dans un labyrinthe. Le dresseur est parti dans tous les sens, est resté renfrogné dans des coins, a ouvert durant des heures les menus d’item, a longuement contemplé un fossile décoratif (d’où l’expression « Praise Helix ») mais a été finalement efficace.
Cette quête aventureuse a placé le site Twitch en situation de lead sur les sites de streaming et de réseaux sociaux mais surtout a développé une expérience de jeu collaborative virtuelle réelle : virtuelle parce qu’à distance mais réelle parce que le Dresseur a finalement capturé tous les Pokemon et surpassé tous les autres Grands Maîtres. (bon, en 16 jours et 7 heures non-stop là où une partie individuelle dure en moyenne quelques jours). Mais ce, en partageant à dizaines de milliers la petite madeleine du roboratif robot.
On peut assister à un accéléré de la partie ici :
Management collaboratif, société, aventures pokemons
La question managériale est : comment décider d’aller à gauche ou à droite, ou up ou down à 80000 ? Eh bien, le jeu a d’abord fonctionné en mode « anarchique » (appellation non canoniquement proudhonnienne mais qui désigne un mode aléatoire de décision) puis finalement, les 2 derniers jours, en mode « démocratique » (en fait, un mode de vote statistique).
Trois remarques autour de cette expérience surprise (succès créatif mais participation massive absolument pas anticipée par ses concepteurs) :
- Le ressort du jeu en ligne n’est pas de jouer solitairement mais bien publiquement et en interaction. Souvent d’ailleurs la pratique du jeu elle-même se partage, s’élabore, à plusieurs devant l’écran ou sur les forums. Ça communique et ça manage. (le problème éventuel de l’addiction est temporel, le jeu ne sépare pas du monde mais il cannibalise d’autres accès au monde plus nécessaires car intégrant la frustration existentielle)
- Le système-jeu est devenu une pop-mythologie, je la développe ailleurs comme relevant de la figure de l’ « Easy Gamer ». Cet univers est massif, sans limites, homéostatique, saturé de désirs, d’affects et d’élucidations projectives. Il constitue la nouvelle économie imaginaire et monétisée du loisir de réalisation.
- L’orientation de ces jeux n’est pas de renforcer solitairement le dialogue homme-machine mais d’intégrer sa dimension publique, humaine, expérientielle. Ce réel-là est encore humain. C’est peut-être une bonne nouvelle.
Exceptionnellement, ce post a bénéficié de la précieuse expertise de Hugo Denoun, géographe et surtout fast and furieux joueur explorateur.
Trois remarques autour de cette expérience surprise (succès créatif mais participation massive absolument pas anticipée par ses concepteurs) :
- Le ressort du jeu en ligne n’est pas de jouer solitairement mais bien publiquement et en interaction. Souvent d’ailleurs la pratique du jeu elle-même se partage, s’élabore, à plusieurs devant l’écran ou sur les forums. Ça communique et ça manage. (le problème éventuel de l’addiction est temporel, le jeu ne sépare pas du monde mais il cannibalise d’autres accès au monde plus nécessaires car intégrant la frustration existentielle)
- Le système-jeu est devenu une pop-mythologie, je la développe ailleurs comme relevant de la figure de l’ « Easy Gamer ». Cet univers est massif, sans limites, homéostatique, saturé de désirs, d’affects et d’élucidations projectives. Il constitue la nouvelle économie imaginaire et monétisée du loisir de réalisation.
- L’orientation de ces jeux n’est pas de renforcer solitairement le dialogue homme-machine mais d’intégrer sa dimension publique, humaine, expérientielle. Ce réel-là est encore humain. C’est peut-être une bonne nouvelle.
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