15 mai 2012

Un Falcon pour London - Pour qui vote la pub ?

Campagne quand tu nous tiens, quand tu nous veux, nous te répondrons, par le vote, par la lecture, l’achat ou le commentaire.

La campagne présidentielle et l’investiture nous disent ce que veut et ce qu’est la France de 2012. Tellement commenté que nous n’y reviendrons pas ici, pas tout de suite. En revanche, dans une même concomitance d’alternance surgissent et se poursuivent des campagnes publicitaires.
Certaines, astucieusement, rappellent au vainqueur le champagne et aux autres le vin de garde mais deux particulières expriment d'autres désarrois : Dior et Chanel.
La pleine page de Dior, c’est la fuite à Varennes. La fête est finie, tout le monde est parti en oubliant la jeune comtesse. Pas un regard pour le photographe, elle fuit vers l’arrière du lecteur, vers le passé, et c’est en courant car il n’y a plus qu’elle dans la grande galerie où paradait la beauté. Une rumeur lointaine s’annonce : quelques Mélenchonistes ? Une troupe de Galliano incontrôlables ? Oh… que cette robe est mal-commode pour courir.

Quant à la petite Chanel, elle attend sans être sûre qu’il y ait bien place pour elle dans le dernier Falcon pour London. On a mangé, bu et dansé toute la nuit, on leur laissera pas une goutte de champagne et on a cassé les miroirs. Ils feront la vaisselle ou peut-être en partant on mettra le feu aux rideaux.. Mes bas sont filés, dans la nuit j’ai culbuté un rustre un peu costaud, mais mon petit sac mignon, ils l’auront pas.

On aurait pu imaginer une dernière fête, un départ majestueux vers le vaste monde, une grandeur viscontienne. Mais ces pauvres filles oubliées qui quittent le navire en emmenant juste leurs petits effets pas bien adaptés à la cohue d’exode, ça dissuade un peu du faux chic…

Quel Karl nous proposera plus élégamment une belle Liberté guidant le peuple, poitrine fière, couleurs françaises, chic bohème, avec une touche de glam-fraternité ?

5 mai 2012

"Une piètre imitation de la vie" , proposition théâtrale

On a 20 ou 30 ans et couramment on se demande si la vie qu’on mène est bien la sienne.
L’écriture et le jeu théâtral peuvent alors être le lieu de cette résolution. A partir des textes de circonstance ou d’apprentissage qu’on peut glaner en 2012, la jeune troupe du Théatre de la démesure propose une interrogation passionnante, vertigineuse, drôle autant que métaphysique sur la langue qui nous tient.
Des scientifiques séjournent à Concordia, base antarctique, parcourant la nuit polaire dans leur réduit Ikéa de circonstance .
On attend une nov-langue, des bribes scientifiques, un paroxysme de huis clos mais en fait, en dépit des tentatives de « réunion » réelle, les protagonistes échangent à distance dans une langue plate, sans aspérités ni intonation, rendue audible pour nous en post-synchronisation. Leurs échanges respectent notices, mesures, mais surtout le style littéral des méthodes Assimil. C’est plat, désopilant et tragique. Désastre de l’équivalence des « méthodes » (Ikea, Assimil, les efficaces systèmes-marques). Que reste-t-il quand langue, mobilier, vêtements tendent à l’équivalence fonctionnelle, neutralisent toute ambivalence ?

Ici du mythe résiste qui « parle » aussi bien au préhistorique qu’au scientifique de théâtre. Le théâtre (de la vie) comme sentiment communautaire, la langue comme condition minimale, le mythe (ici la femme Bison Blanc) en contamination virale de culture, le voyage aventureux comme dépassement initiatique du réel et surtout la fondamentale base pulsionnelle de la chanson : les chansons des Beatles se comprennent dans toutes les langues.

Des jours plus tard, passés les travaux et les jours du labeur, me reviennent soudain le « Strawberry fields for ever » chanté a capella par la troupe (« gisements de fraise » sous-titrent-ils, en pseudo internet de langue pour tous).
Merci pour tout ça.

13 janvier 2012

Décrire le territoire. La leçon de Giono IV

Ce blog est une manière de payer ma dette aux artistes, aux penseurs qui, l’air de rien, préfigurent des compréhensions contemporaines. Jean Giono est l’un des plus manifestes de ces passeurs et les personnages de Panturle ou ceux de Baumugnes constituent dans ma pratique de coaching un repère Palo Giono qui vaut largement son Palo Alto.
Dans les méthodologies d’intervention, qui débutent toujours par un « décrire », Giono donne une autre leçon passionnante dans « Monologue », une nouvelle très peu commentée du recueil Faust au village. Ce texte décrit étape par étape, station par station s’il s’agissait d’un chemin initiatique, comment le territoire joue un rôle dans la vie des humains, en ce sens qu’il est leur cadre métaphysique, mythique, environnemental mais également le lieu de mémoire dans lequel basculent les générations. Le territoire dit la voix des ancêtres, nous éclaire Giono l’abo.
Cela vaut pour tout environnement et je propose que ce texte figure dans la formation de tout métier d’intervention (développement, accompagnement, communication, médiation...).

Station 9. Le jeu de la mort
Mais ceux du Pays peuvent mieux faire encore et le processus de contamination métaphorique (par déplacement des affects, par recouvrements des ambiguïtés)   qui préside à l’écriture se poursuit.
Perdre le souffle devient bientôt littéral.
" (.) En désespoir de cause, tout remettre en question ?
Le vallon de l’Iverdine passe pour être l’enfer. Alors l’enfer est partout. Dans la montagne, les gens ont un plaisir : se suspendre par leur capuchon. Ce sont des capuchons en peau, fermés au cou par une courroie de cuir. On se met à trois. Deux relèvent le troisième et le pendent à un clou par son capuchon. La courroie se serre, le sang ne circule plus dans la tête : la connaissance se perd. C’est si agréable qu’il faut recommencer constamment. Le pendu agite les jambes trois fois. La première fois il ne faut pas le toucher, c’est paraît-il le meilleur. (..) les très bons partenaires connaissent le moment exact, à une demi-seconde près (..). Ça se fait également en famille. Les mères pendent leurs fils et leurs filles, le mari pend sa femme ; on pend le père, on pend même le grand-père et la grand-mère. [..]
Ça n’est pas une coutume récente. C’est très ancien. On ne sait pas si ça remonte à l’an mille ou avant : ça s’est toujours fait." 

En comparaison avec le lyrisme du jeu, cette suspension par le capuchon est inouïe, jamais lue ailleurs chez Giono et dans aucune étude d’ethnographie locale. Ce que nous en savons nous vient plutôt des cours d’école de faits divers  où quelque jeu du foulard subsiste à l’âge où mourir paraît impossible.