Une exposition de Patrice Alexandre au Musée royal de l'Armée et d'Histoire militaire de Bruxelles
Alors que s’approche le centenaire de la guerre de 14, et avec celui-ci l’éloignement de sa mémoire vécue, la conjugaison d’une proposition esthétique et d’un patrimoine muséal nous la rendent contemporaine.
La Grande Guerre a déchiré la terre d’Europe, plus grande que les nations, plus dure que la terre, plus grande que les hommes. Tués, anéantis, par millions, soldats et civils. Villages rasés, terre stérilisée, génération affolée. Cette guerre invente l’industrie de mort : on s’y détruit avec méthode scientifique et en progrès rapide : augmentation des calibres jusqu'à accoucher de la grosse Bertha (42 cm), blindage et invincibilité des chars-machines de mort, aviation qui commence en lançant gracieusement des papiers, des cailloux et finit avec la mitrailleuse, et enfin les gaz que le vent dépose sur l’ennemi.
Le soldat était un homme, parti joyeusement au front, entre hommes.. Ca n’allait pas durer, on larguait le quotidien et on avait de jolis uniformes seyants. Ceux qui ne s’y trompent pas : la garde civile belge, rutilante dans ses uniformes de parade bourgeoise et qui se dissout la veille de la déclaration de guerre quand ça ne rigole plus du tout.Les hommes deviennent rapidement hébétés, anéantis par la boucherie : c’est la machine, le progrès qui leur tombe dessus, sans mesure avec la baïonnette du vieux corps-à-corps. Les corps sont écrasés, bouffés de vermine, enkystés dans la boue, au stade du rat, fidèle compagnon des tranchées. Les mutilations sont épouvantables, faces arrachées, membres broyés, bricolées par une chirurgie de guerre qui progresse également au pas de charge.
Comment garder mémoire de cet anéantissement ? A l’intimité horrifiée des lectures de Giono, Barbusse ou Céline, on ajoute institutionnellement l’édification de monuments aux morts. Pas à la guerre, pas à la victoire, pas à la nation mais aux morts que chaque village a connus.
Le monument aux morts, dans chacune de ses étapes, est une mise en scène de la société, qui se résoud en lentes négociations...:
- choix d’un emplacement, central, passant, adossé à église ou non, champ de foire...
- appel aux dons : vous avez donné un être cher, donnez de l’argent pour qu’on ne l’oublie pas, - choix d’une scénographie, horizontale qui sollicite le spectateur, ou verticale qui allégorise la démesure, en arc-de-cercle, en muraille, en évocation de tranchée, etc.
- choix du sujet : le soldat, la nation sauvée, la veuve éplorée, au combat ou en souffrance,
Ces monuments sont de fait les œuvres d’art les plus répandues en France, en Belgique, en Europe. Leur sujet commun est celui de la mémoire des morts et des conditions de leur disparition. La plupart du temps, leur réalisation concrète commence par du modelage, comme un retour de la terre informe vers ceux qu’elle a brisés. Le choix du matériau, de la composition, du sujet sont à chaque fois débattus, négociés avec l’autorité militaire, les anciens combattants, les représentants institutionnels. Le monument est la parole circonstanciée des vivants sur les morts, sur leurs morts puisqu’elle les convoque, les liste, les allégorise dans la représentation métaphorique.
Ce que montre - et prolonge également par sa propre œuvre - Patrice Alexandre est que le motif proposé diffère suivant que le sculpteur a « fait » la guerre ou non. Ceux que la guerre "a fait" sont du côté de l’homme, sa souffrance, son anéantissement dans la boue, sa peur et sa fraternité de combat. Souvent, lorsque le sculpteur n’a pas combattu, l’allégorie, la mise à ..