Aller à Buenos Aires sans être danseur de tango est un peu étrange. Oui il y a des musées. Oui il y a la mer du fleuve. Oui de grands immeubles et de larges avenues. Un stade de foot et des empanadas. Et des bus furieux qui traversent la ville à toute heure avec des arrêts ésotériques. Mais surtout le tango..
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Carlos Gardel dans son quartier d'Abasto
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Non pas que tout le monde le danse (la rue sonne plutôt reggaeton salsa latina et rap) ou que la technique corporelle de précision du geste y soit plus absolue qu'ailleurs mais parce que le tango s'y vit philosophiquement. Il est le code génétique secret de la ville, le cœur battant de cette Maximum City, jour et nuit.
A la manière d’une secte souterraine, ses Vieux Croyants des catacombes témoignent de leur philosophie. Comme à Venise, Paris ou Budapest, Gardel nous y étreint, qui depuis sa mort en
1935 chante de mieux en mieux. A peine la porte passée du vieux dance hall ou du squatt bariolé, c'est la même musique presque centenaire, très proche d'un film de Charlot. Très proche de sa caricature, comme tout grand art.
Ses prophètes miséricordieux dansent et parlent en même temps, dissociation du haut et du bas mais aussi de la parole et du geste. Peu de coordonnées géométriques mais plutôt une philosophie de vie. Leur tango c’est leur vie : échanger, accueillir, surprendre, étreindre et laisser vivre. « Si tu veux qu’elle vienne il faut ouvrir la porte ».
Ils ne prétendent pas à la vérité géométrique du geste mais se réjouissent des interprétations qu'ils tentent ou suscitent. Avec des intuitions rares : « Il y a une loi de l’hermétisme qui dit que ce qui est en haut passe en bas et que le bas passe en haut ». « Quand tu étires ces deux parties, du haut et du bas, ça libère un vide et c’est d’ici que tu danses » et tout ça en se régalant des questions qu’on leur pose.
Car le tango est une conversation, brève et authentique, affaire d’une vie aussi parfois comme ces deux danseurs mercenaires à touristes de la Boca qui sur leur estrade riquiqui dansent pourtant leur homélie du serment.
A la question d'un américain qui en veut pour ses dollars d'inflation sur le « Mais comment ça se guide cet ornement? » le maestro réfléchit puis répond : « c'est 65 % de télépathie » et c'est la réponse la plus scientifique qu'il puisse donner. C'est-à-dire que a u-delà de l'orientation d'un buste, de la retenue d'une main, l'essentiel réside dans la connexion entre partenaires. Si celle-ci est de qualité, le couple échange et pressent. Et l'addiction à la grâce débute.
Cette délicatesse n'est pas toute rose et plusieurs chanteurs actuels du tango (Chino Laborde, Melingo,..) viennent du rock ou du punk, parcours qui correspond à l'essence ravageuse du tango.