Faire mentir un paysage idyllique,
la mystification nazie
Une visite au Berghof de Hitler
Oh que c’est beau !
La vue est superbe. Une grande terrasse qui donne sur un panorama alpestre. De vastes prairies ponctuées de fermes et au loin une chaîne de montagnes. Et pourtant c’est ici que les sombres méditations de Hitler ont vu le jour : écriture de Mein Kampf (Mon Combat) , communauté des proches (maisons de Goebbels, Goering, Bormann, Speer, appartements de Heinrich Hoffmann le photographe officiel, etc), quartier général des opérations militaires et “opérations spéciales”.
Ici c’est le Berghof , le domaine au-dessus de Berchtesgaden, domaine du mensonge public et de la réalité cruelle.
Le mensonge chaque jour
Sur les tableaux de l’époque, la montagne d’horizon est faussement dessinée, très haute, quasi-himalayenne, à la mesure du démiurge.
Panorama hitlérien magnifié en 1939 |
panorama d'aujourd'hui, réel |
Infatigablement dédié au peuple allemand, l’agenda d’époque mentionne que le réveil d’Hitler débute par un réveil à midi avec petit déjeuner. Un peu plus tard, il déjeune assez végétarien. Hitler aime les enfants et les animaux.
Les enfants aiment Adolf | (montage H. Hoffman) |
Eva Braun, assistante d’Hoffmann le photographe attitré qui bâtit la légende épique (4 ans de prison après-guerre), est devenue sa secrétaire et vit à ses côtés, tout sourire lorsqu'ils reçoivent militaires et industriels mais aussi humbles locaux. Eva filme en couleurs, de jolies petites scènes familiales ensoleillées.
Entre amis sur la grande terrasse, film couleur Eva Braun
Tout entier offert au peuple, sa relation réelle avec la tendre Eva est tenue cachée. Les enfants dont il aime sur photo être entouré doivent l’appeler “Oncle Adolf”.
Pourtant tout près de la terrasse, on voit des fermes expropriées pour être cédées aux proches de Hitler, le médecin de pays, ancien vétéran de la grande guerre, Gustav Ortenau, est empêché d’exercer et ses enfants doivent interrompre leurs études de médecine. Tous bien trop juifs pour la communauté nationale. En 1930, son cher Club Alpin autrichien avait déjà promulgué de nouvelles lois aryennes, avec exception pour le vétéran qu'il était mais en 1933 il en est finalement exclu. Même progressive ignominie pour le loueur de barques du charmant lac de Königsee tout proche. On s’y baigne, on y loue des bateaux, on rit pendant les journées d’été mais dès 38, on obligera le loueur Modereger à divorcer de Felicia, sa femme juive (il refusera jusqu’au bout mais elle sera finalement déportée à Auschwitz après s’être “réfugiée” en Hollande et apprendra la mort de son mari à son retour de déportation).
L’horreur de l’espace vital allemand
Certains des beaux montagnards du coin qui seront enrôlés dans les chasseurs alpins finiront au siège de Leningrad (75000 morts civils) ou plus tard dans la bataille de Stalingrad (800000 soldats allemands pris au piège ). Si l'on veut s'enrôler dans les troupes de montagnes, l'aspirant doit obtenir un certificat auprès du Club alpin. D’autres natifs du panorama participeront aux massacres de Skypes pendant la campagne de Crète ou encore aux retraites sanglantes (pour les civils) de la bataille de France.
Espace vital du peuple allemand débarrassé de ses populations indignes (juifs, Roms, Témoins de Jéhovah) étendu vers l’Ouest et surtout vers l’Est pour un royaume de 1000 ans. Huit ans plus tard, les allemands des Sudètes constituent la plus grande vague de migration du XXeme siècle, l’industrie est détruite (certains américains et français hésitent à faire de l'Allemagne une nation définitivement agricole), le tiers des Berlinoises sont violées par les Russes “libérateurs” et les grands acteurs survivants du régime sont jugés et exécutés à Nuremberg tandis que Goebbels, Hitler se suicident en famille dans leurs bunkers assiégés.
Vers la fin de la guerre, à partir du Débarquement de Normandie , le centre de commandement américain se plait à dire : “Notre arme secrète, cet imbécile de Hitler”.
Après la défaite, plus personne n’est nazi même si les greniers conservent les innombrables bustes, médailles, boites d’allumettes, certificats et brassards à la gloire du régime. Albert Speer sortira après 20 ans de prison, bien nourri à Spandau, établissement géré par les alliés (rien à voir avec les premiers camps de travail des opposants comme Dachau). Le jour même de sa sortie, en élégant costume et sourire fin, lors de sa conférence de presse dans un grand hotel, il forge son nouveau personnage de gentleman nazi, ignorant tout des projets de Hitler, des massacres, de l’esclavage industriel et des exterminations de juifs : “J’ai péché par indifférence et Hitler était un démon qui a abusé le peuple allemand”. Deux best-sellers de ses mémoires édulcorées l'enrichiront.
Croire aux mythes est nécessaire et parfois dangereux
Hitler n’a abusé personne : tout était écrit dans son livre, il a été élu puis a redressé l’Allemagne, forgé au marteau une communauté allemande faite d’exclusions, de dénonciations et d’accaparement et a défilé sous acclamations et peuple en fusion (viriloïdes aryens et honnêtes femmes au foyer).
En 1952, le domaine du Berghof est rasé afin que ne s’y développe trop manifestement un culte nostalgique de la grandeur et de l’épopée nazie. Les galeries souterraines creusées par les esclaves s’y visitent encore , avec leur exemplaire organisation de refuge. A la Libération les américains et les Français y ont découvert des montagnes de produits de luxe, des vins prestigieux volés en France, les oeuvres d’art pillées dans toute l’Europe. Le vol était la condition de l’acquisition, il serait intéressant de faire le décompte de ce que régime nazi avait réellement acheté avec de l'argent produit et non volé.
Sur le terrain ensoleillé, un remarquable centre de documentation s’y dresse à présent , parcouru dans un recueillement assez horrifié par des foules silencieuses qui se retrouvent ensuite devant le magnifique panorama.
En ces temps de mensonge politique généralisé par des crypto-dictateurs de tous ordres (de Poutine à Trump, en passant par des Nord-Coréens, des mollahs, etc) il est passionnant et éducatif de parcourir en quelques heures la construction, la barbarie et l’anéantissement d’un mythe démiurgique au coeur de ce qui était une des plus hautes cultures d’Europe (l'Allemagne vue par Walter Benjamin dont la citation "Au coeur de la plus haute culture se tient aussi la plus grande barbarie" est écrite sur sa tombe).
A voir : Hitler and Obersalzberg, Idylle et atrocité, l'exposition permanente du Centre de Documentation , Berchtesgaden, Bavière.
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