26 août 2024

Une architecture de l'expérience, Peter Zumthor - Bruder Klaus Kapelle - Vers le spirituel par les entrailles

Ce qu'il faut de violence pour s'arracher de la Terre quotidienne

C’est une campagne ancienne , de champs en pentes douces. Un moine , frère Klaus, Nicolas de Fluë, y a vécu en ermite , nourri par les paysans. Le miracle de chaque jour, une écuelle remplie. Théologue et politique après son parcours séculier (5 filles, 5 garçons, prospérité) puis mystique. Considéré depuis comme le saint patron des agriculteurs chrétiens. 

Saint Nicolas de Flue, méditation vers le Haut lointain

 

Au XX eme siècle un prospère paysan d’ici, Herman- Josef Sheidweiler, qui s’en souvient encore propose à Peter Zumthor de dresser, en gratitude, une chapelle votive sur sa parcelle. Durant plusieurs années, Zumthor ne répond rien puis en 2001, il acquiesce. Visite, méditation. Un accord local à la mémoire, au génie du lieu, à ce qui ne se résoud pas à se contenter de la terre. 

Donc en 2005, on ramasse de cette terre argileuse , qu’on mélange au ciment local et qu’on coule, par bandes de 50 centimètres durant 24 jours sur 112 troncs d’épicéa qui seront ensuite brûlés par lente combustion. Le « on » ce sont les paysans qui, médiévalement, donnent leur temps de travail. Depuis 2007 se dresse donc sur l’éminence d’une parcelle une espèce de monolithe beige, couleur de labours. On marche depuis les hameaux voisins. Aucune indication mais de loin , sans aucun doute , l’édifice se signale par l’incongruité de sa verticalité. Ce qu’il faut de rupture pour s’arracher. Plus on s’approche, pressant le pas, croisant le retour de très paisibles visiteurs, plus la géométrie se précise. Le monolithe s’affirme pentagonal irrégulier, le lisse de la surface manifeste ses 24 bandes de coulage. Une porte triangulaire offre le passage au visiteur singulier, un par un . Pas de groupe, pas de couples, toi qui entres ici, abandonne le commun partagé. En deux mètres d’avancée le monde des horizons quotidiens disparaît : pénombre trouée de billes de lumière naturelle, cheminée tournoyant vers le ciel ouvert. L’eau qui s’en déverse est recueillie sur un sol constellé de zinc et plomb lissés. La flaque résiduelle brille au Très-bas. Silence. Silence. No pictures. 

Mémoire brulée des 112 épicéas en tente, lumières de verre
 Au dessus de la porte extérieure, une discrète croix de Saint André rappelle la prétention mais aucun signe ne coiffe l’édifice. C’est que passé le conceptuel de la perspective extérieure c’est un tourment organique qui se déploie à l’intérieur. Entrailles habitées par la lumière, fertilisées par la pluie. Elévations vers un très haut sans immensité, rabaissées vers sa petite flaque d’humanité. Plutôt qu’une crucifixion vers le bas, le visage d’orant vers la lumière de frère Klaus. La discrète géométrie d’une roue évoque les cycles de toute récolte agricole ou générationnelle. L’incarnation. Grâces soient rendues à Bruder Klaus, Nicolas de Flues , aux paysans du coin qui maintiennent ouvert le site et à Peter Zumthor. 

Remerciements également à Sasha Neveu, élève de Sylvia Lacaisse, dont la remarquable soutenance de diplôme d'architecture consacrée au génie du lieu (Genius Loci, une expérience sensible ?) nous a mis sur la piste de cette Chapelle. 

Bruder Klaus Kapelle, 40 kms de Bonn, ouvert entre 10h et 17h.

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