"Guerre". Quand Céline nous vient à temps.
60 ans. Le temps qu’il a fallu a ce manuscrit pour nous parvenir au cœur présent.
Il a été écrit près de 20 ans après l’expérience pour Louis Destouches de la guerre de 14, puis accaparé chez lui après qu'il ait décanillé puis gardé secrètement puis confié à un journaliste humaniste (Thibaudat) puis remis en lumière au décès (107 ans !) de l'ayant-droit, la fidèle et dévouée Lucie Almansor ("oh, on ne parlait pas avec lui. on l'écoutait.".) .
Après la parution de "Voyage au bout de la nuit" il rédige, manifestement à la hâte, ce texte vital pour lui, essentiel pour nous.
Tout s’y noue, en brûlot métaphysique. Cela débute par un réveil après une blessure. L’homme est littéralement collé au sol par son oreille ensanglantée, survivant égaré de sa compagnie..
Douleur, survie, et un vacarme dans la tête qui ne quittera jamais Céline .
Se conjugue alors dans l’errance des rencontres ce qui reste à l’humain au cœur de cette boucherie insensée.
La vie d’avant, la vie civile, les compagnons d’infortune, les hiérarchies implacables, les polices maintenues, les femmes de circonstance, bénévolentes ou de sexe généreux. Tout est là, dans le chaudron.
Que reste il ? Un vertigineux présent qui dévoile l’inanité de l’ordre social, de la bonne comptabilité d’épicerie familiale jusqu’aux médailles glorieuses.
Sachant que le soldat (ces conscrits embarqués) est un être-là-pour-mourir, La dernière vérité existentielle, dans le côtoiement de la mort, est alors celle du sexe. Copulations incertaines, jouissance du regard , disponibilités aventureuses.
La putain, l’humble servante, l’infirmière sont celles par lesquelles le soldat accède à la vérité de l affaire.
A l’instant du côtoiement du néant , le sexe est le dernier vivant. Bander c’est à la fois l’imposture du soldat blessé mais aussi le rester vivant du soldat.
Et pour un être d’écriture, revenir vivant de cette initiation insensée, c’est alors produire une langue de vérité qui ne respecte rien que d’être à hauteur de l’innommable.
Philosophie, chronique, aventure d’une pauvre âme, par quelque lecture qu’on en tire, Guerre, à la manière de "Vie et destin" , nous dit depuis quel néant s’accouche un être de chair et de parole.
Ce pourrait être écrit par un conscrit russe d'aujourd'hui, une sorte de Limonov envoyé à la bataille en Ukraine comme chair à canon.
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