27 février 2015

Les roots de l'Art

C'est une Babel amazonienne et c'est en France. Telle est la Guyane. Parcourue de grands fleuves, couverte de forêts et mangroves, et de poussières d'or qui ont aimanté ses colonisations successives. Ce n'est pas seulement un bout du monde où envoyer au bagne les « irrécupérables », droits communs ou politiques. C'est aussi le séjour de multiples communautés qui vivent, produisent, font trace en ces climats de moite déliquescence. Cette trace, appelons-la culture et c'est l'immense travail de l'association Chercheurs d’Art d'en donner les clefs, c'est-à-dire la Route.
Elles tressent les coiffures, ils gravent les pagaies et tout ce qui fait usage, elles modèlent des céramiques, ils peignent des ciels de case. Sans trop savoir pourquoi, dans la trace des aïeux, dans le lent façonnage des matériaux nobles ou d'opportunité, ils bricolent une œuvre, entre séjours d'abattis, vente de bord des routes sous le carbet à la bière fraîche.
Le mérite ancien de Chercheurs d'art et tout précisément de Patrick Lacaisse est de les avoir rencontré, accompagné dans leurs équipées de chasse et de bricole et peu à peu d'en avoir réaffirmé l'apanage contemporain. Ces gestes de tradition ont en effet emprunté des formes de circonstance, glané des propos en écho circulatoire des signes de l'art. Ils constituent aujourd'hui un patrimoine en mouvement des arts "contemporains" de tradition. Et plutôt que de les récupérer à l'aéroport ou dans de savantes muséographies, l'association a conçu, avec un O.N.F. bienveillant et bien inspiré, une route qui repère, inventorie les multiples formes de la vitalité esthétique des artistes guyanais (l'ouest guyanais, entre Mana et Saint-Laurent-du-Maroni).
Ce sont 60 artistes de bords des routes et des fleuves, signalés par un totem-pagaie, qui accueillent le visiteur dans leur atelier. La plupart, sur le mode autochtone (aborigène ?), signent individuellement mais dans une tradition perpétuée.  Il y a des bancs zoomorphes d’inspiration chamanique de chez Adelison Amimba, les poteries Kali’na de Neddy Rosenberg et Martina Nassia, des hamacs wayanas, des tissages Hmong...
Il faut y aller (nous y sommes allés), il faut y suer, se saluer de rhum et de danse et s'émerveiller soudain de cet art délicat, sophistiqué, issu de mains rugueuses, de vieilles gouges et Opinels et de dialogues opportunistes avec l'environnement proche, qui fournit bois précieux, graines, argiles, plumes et couleurs.
Il n'y a d'art que dans la langue énigmatique d'une expérience et d'un lieu. En ce moment ça se passe en Guyane autant qu’à Brooklyn. Chercheurs d'art  a  trouvé ces pépites pour notre contentement.

Le fleuve et la forêt sont les grands constituants de cette expérience. La pagaie de bois dur est donc le paratonnerre ajouré de ces dialogues, tenus par le travail humble de la répétition patiente et l'orgueil de faire belle trace. Élégance de la nage, beauté de l'ornementation dont l'utilité est tout juste prétexte.
Celle, ci-contre, est personnelle,  je l'ai acquise sur les bords amont du fleuve et c'est un beau souvenir de dérive, de rencontre et de surgissement  des formes rares.
En savoir plus :
La route de l’Art, guide-catalogue, Éditions ONF 2014, avec de belles photos de David Damoison.
Le CARMA, Centre d’Art et de Recherche de Mana, nouvellement créé à Mana, Pk1, RD 22.
Région Guyane : en lien ici

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