5 novembre 2024

Trump, l’intelligence de la bêtise

 

Trump nous apparaît en Europe, surtout en France,  sous la figure du grotesque telle que commentée   par les spécialistes du politique et les progressistes. C’est à dire par les gens « éduqués », par les journalistes sérieux, par les responsables politiques.
L’américain présidentiable qui nous émerveille et nous effraie en tant qu'indice de la dégénérescence culturelle de l’Amérique.
Notre meilleur faire-valoir européen et humaniste. « Comment peut-il être aussi con ?» , aime-t-on se gausser.



Une connerie imparable

Mais (Donald) Trump n’est pas con du tout : Il est diaboliquement con. Son apparente bêtise puise sa dynamique dans le pulsionnel et va dans le sens d'un puissant impact relationnel.
Certes il n’est pas érudit, il confond probablement Corée du Nord et Venezuela mais ça n’a aucune importance : il « calcule » ses interlocuteurs en deux secondes, il calcule l’intérêt qu’il peut en tirer, structure des hiérarchies d’urgence et redessine le monde par des images rhétoriques. C’est extrêmement puissant et exprime la quintessence mythique du self made man qu’il n’est pourtant pas.
Le procès en incompétence , le démontage rationnel n’ont aucune prise sur lui, ou plutôt sur ses thuriféraires. Au contraire ces objections effarées renforcent sa vérité pulsionnelle. Il incarne la réalité vraie refoulée, le vrai que l’éducation, la conformité, l’humanisme et la démocratie ont tenu à distance.

Puissance du spontanéisme

S’il était minoritaire, on pourrait traiter ces divagations par le mépris ou l’indifférence mais comme cet ancrage pulsionnel rencontre, amplifie, se synchronise avec l’inquiétude populaire, il touche et convainct et séduit et résonne avec la moitié des américains. Deux visions et ressentis irrémédiablement distincts qui se sédimentent en États Désunis.
Ce qui nous fait rire ou nous épouvante : les chats mangés par les Haïtiens , les latinos violeurs, ses amitiés poutiniennes, son alliance avec l’Elon Musk lui aussi adulé/persiflé, la puissance du dollar, l’Amérique puissante , les combats de catch, tout cela renforce , agrège le peuple inquiet. Inquiet de la mondialisation, de l’inflation, des étrangers accapareurs de travail et de sécurité, des faits divers (sauf celui de se défendre , arme à la main).
Tout cela fait mouche et répond à la peur - archaïque autant que parfaitement contemporaine-  de l’autre.
Dans ce rapport de bloc à bloc, comme le vieil Ouest/Est , deux visions antagonistes s’affrontent, prétendant chacune à l’absolue légitimité : le rêve intégratif de l’utopie américaine , le rêve tout aussi américain de conquête par le colt.
Les histoires perso (papa, maman, le grivois.. ) que Trump met en avant ne sont pas ridicules , elles humanisent son profil et suscitent l’identification. Ses délires sécuritaires résonnent avec la peur archaïque d’un peuple local (assigné à sa terre) qui perd ses repères. Son racisme endémique se nourrit des incertitudes qu’introduit la mondialisation des réseaux de circulation et d’information. Sa vision des femmes, dans sa caricature même, rassure les différencialistes et attendrit les femmes Trumpistes  qui y pressentent l’enfant turbulent qu’il faudrait rassurer.
 

Comment faire ?

Parler du passé n’a aucun sens , c’est comme rappeler que Le Pen a torturé en Algérie. Le passé construit la statue, c’est au présent instantané que joue  l’espace politique aux temps immédiats des réseaux. Argumenter rationnellement c’est se tromper de terrain car la vérité Trumpienne se situe ailleurs, dans le ressenti émotionnel. Si le sentiment qu’elle déclenche est avéré (sa dimension pulsionnelle, archaïque,..) alors elle accède immédiatement au statut de vérité alternative.
Et le taxer de racisme n’empêche pas de marquer des points auprès de populations précarisées mais qui veulent préserver leurs petits avantages distinctifs chèrement obtenus.
Au-delà d’une nécessaire prise en compte des insécurités (et pas seulement « c’est pas bien d’être raciste » ou « le libre échange  est l’avenir radieux de l’économie ») restent deux attitudes communicationnelles :

- le ridiculiser , montrer sa ringardise , rire de ses outrances.
- le "bastonner" : injures, menaces de poursuites pénales , dans un règlement de comptes cow-boy, aux poings , au colt, se mordre dans la boue.

Le nouveau paradigme managérial, "you're fired"

Nous avons les mêmes à la maison France ; autant se préparer au vrai langage contemporain.
Les conséquences immédiates diffuses :
Nous ne parlons pas ici de politique mais de relation dans ce qui fait groupe (société, communauté, entreprise,..) c’est à dire de management.
Si les approches les plus opérationnelles contemporaines vont aujourd'hui dans le sens de l’intelligence collective , le système Trumpien (Bolsonaro, Orban, Poutine, etc) propose une toute autre voie : un système de représentation qui revient au charismatique, au providentiel et non pas à la participation collective.
Un puissant (viriliste bien sûr) qui produit un discours de vérité excluant débat et opposition. Un dégagisme ("you're fired") qui plaît aux Gilets Jaunes , des relations préférablement bilatérales au rythme imposé par le puissant. Une rapidité de décision et d’annonce qui impose un timing pseudo-réaliste au lieu des  lentes palabres du multilatéralisme.

L'effondrement impérial

Les risques de ce choix ? Le désastre fasciste à l’évidence.
De même que Hitler ou Poutine ont été élus, nous faisons advenir, en perte de conscience historique, des élus qui se désentraveront de la démocratie une fois élus et libèrent les forces les plus archaïques, celles du ressentiment, des exclusions et pour finir, de la ruine messianique.


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