Æsthetica
Ce qu'il faut de danger pour le sublime..
La ronde irrépressible , une belle photo d'Etienne Buraud |
Les heures sombres de la nuit. Vers trois heures ou cinq heures du matin dans les tréfonds du Web. Des heures tu passes à parcourir des Instagram de video réelles, des séquences de vie hallucinée à l’autre bout du monde, des jeux d'abruti et puis il y a aussi encore le porn et parfois même pour finir l’immondice. Vers le haut, vers l'angélique il n’y a pas grand monde mais plus tu vas vers le bas et plus il y en a du monde. Des complotistes, des malheureux et des très méchants. Harcèlements, haine des autres que soi, meutes de petite ressemblance.
Quand ça finit, tout au bout près de l’aube, tu es tout seul sur ton recueil de poubellication et il faut bien avec le soleil que ça cesse, que ça reparte vers le haut. Fleurissent pourtant quelques pensées. Les fleurs du mal.
Donc la tentation est incessante qui nous fait pencher vers le facile, se suffire en solitaire, rêver au miroir de nos désirs.
C’est le nom des réseaux, des vertiges et de l’infini miroitement du « tout possible ».
Tout est possible, ce qui revient à boucler le cercle des désirs : « je suis la plaie et le couteau » une esthétique circulaire alimentée par la rumeur du bas-fond.
L’infini digitalisé, à portée de clics, de Charybde en Sylla des nuits entières, la tentation méphistophelesque d’un sourire carnassier qui nous alimente en pire. Le confinement avec le ressassement.
C'est la matière d’Aesthetica, toute nouvelle création de la compagnie Tango Unione de Patrice Meissirel, brillamment (en lumière) portée par ses interprètes, au travers de proférations, de soliloques du pire mais également par la générosité d'un geste, d'une sensualité presque sainte et souvent par la drôlerie de l'excès.
Quand le tour est fait des sanies, des combats fatals et des vociférations, quand les propositions prostitutionnelles, influenvoleurs bateleurs de danse on line désopilants et la fange du plus bas ont été épuisées, où les pensées faciles avaient pu trouver accueil, il ne reste que le corps, l’innocence des corps.
Et c’est ainsi que toutes les expressions de l’exultation dansée surgissent : tango, claquettes, hip-hop et contorsions contemporaines, dans une innocence combative inspirée cœur à corps de l'irrésistible Kill Bill de Tarantino. Il s'y déploie une énergie telle celle de jeunes ardents comédiens dans ces premiers spectacles où rien n'est gardé sur l'os. Tout est donné, à la limite de la casse, du combat fatal. L'exténuation des rondes se résout dans une presque pieta récitative où la puissance d’être se libère des images pour puiser dans le corps dansé, éperdu, une authentique tendresse méditative, une fleur du mal baudelairienne.
Ovation debout du public enthousiaste d’être aussi dérouté puis enseigné.
Merci les artistes.
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