Poésie d'avant le désastre
Lire le roumain Benjamin Fondane ou le hongrois Antal Szerb c’est
converser avec des esprits épris de liberté et passionnés par la vérité la plus
haute de la littérature ou de la poésie.
Insouciants, confiants, ironiques, esthétiques radicaux en 1935.
Sous entendus érotiques , la ville comme espace bruissant de rencontres,
le compagnonnage des poètes, l’attirance pour Paris , centre du monde
des lettres.
C’est toujours à Paris qu’ils comparent une ambiance de quartier ou un café littéraire.
Individus singuliers et libres que les circonstances historiques, la barbare folie nazie rattrapent et assignent.
Peu à peu la barbarie essaye de leur arracher leur identité esthétique puis leur humanité.
L’un , Fondane, qui tutoyait Baudelaire et Rimbaud, se fait
attraper par la gendarmerie du pays de ses rêves , avec sa sœur. Ses
amis écrivains tentent de l’arracher de Drancy mais il refuse de se
séparer d'elle et c’est ensemble qu’ils disparaîtront à Auschwitz.
L’autre, Antal Szerb, qui racontait en 1935 son Budapest à un lointain martien , meurt dans un camp de travail en 1945 sous les coups de soldats hongrois.
Passer le pont aux chaines avec une femme, revenir possiblement avec la même |
Jusqu'au bout, assignés à leur table de travail ils ne renoncent pas à leur espace intérieur. Szerb publie en 1941 une histoire de la littérature mondiale et en 1943 un roman sur Marie-Antoinette. Fondane écrit sur Empédocle en 1943 et son recueil de poésie "Le mal des fantômes" en 1944. Dernier poème à Auschwitz un poème écrit sur un emballage de savon pour l'anniversaire d'un compagnon et oublié donc perdu.
Les deux souriants pour toujours , le regard joueur et
l’attention érotique, les voilà au bout de l’incandescence, une
cigarette fugace.
Ils sont morts d’un bout de pain en moins ou d’un coup de poing en
plus mais je leur fais confiance : leur dernière pensée aura été une
méditation ironique. Âpres guerre, on a parfois retrouvé le corps de
poètes disparus. Dans leur poche toujours un carnet , un bout de papier
griffonné.
Notre génération est incroyablement insouciante , d’avoir vécu en
Europe de l’Ouest un moment rare et béni d’absence de guerre. Qui nous
fait parcourir les plus vaines recherches, les excès et farces
révolutionnaires ou la beauté irrémédiable. Quelques moments de grâce au
tango argentin, une victoire de foot, un film, un peintre , Carlos
Tangana par la grâce du flamenco et de Spotify et nous voilà tout présents.
Serions nous donc à la veille des barbaries les plus vraies ?
Oui. Alors Pas le moment de relâcher nos esthétiques.
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