Nous lisons ces jours-ci d’intenses, sobres et « droit dans les yeux » communications de Volkswagen sous forme d’annonce pleine page dans les grands quotidiens. Leurs pitch : une organisation industrielle, de portée transnationale, au chiffre d’affaire se situant entre le PIB de la Belgique et de la Grèce nous y rappelle ses engagements.
Quatre mois après que le scandale de la tricherie soit survenu, sans qu'on ne connaisse encore les sanctions prises et l’historique du système de tromperie découvert, la marque informe qu'elle compte prendre des mesures de compensation en 2016 et que la sécurité de ses automobiles reste exemplaire. L’ordre d’idée du coût d’un tel achat d’espace pleine page dans un quotidien tels Le Figaro ou Libération se situe environ entre 40 000 à 100 000 euros l’annonce. Je précise cet ordre de grandeur au regard de ce qu'on a exigé et obtenu de gouvernements et d’États c'est-à-dire des.mesures bien plus radicales et rapides (politique de sécurité, transparence des actes et patrimoines des gouvernants, politique économique etc.) que ce rythme de croisière de crise de l’industriel.
Permettons-nous donc d’y ajouter nos propres commentaires et hypothèses (nous n’avons reçu aucune proposition de publicité qui détournerait notre sagacité).
1. Comment élaborer une tricherie ? Le pacte de transgression.
Nous ne sommes pas dans un top-down du commandement : le PDG n’a pas explicitement demandé une telle fraude. On peut imaginer plutôt (en attendant le livre qui nous racontera tout) un scénario créatif dans lequel, de manière informelle, devant la machine à café ou sur un banc d’essai, un ingénieur fait le malin et signale à un collègue qu"il y aurait moyen simple de fausser la mesure. La proposition est développée sur le mode ludique hors circuit de décision jusqu'à ce qu'elle soit soumise à un responsable des essais ou à un responsable
d’affaires. Là ça devient sérieux, confidentiel et évalué. La portée de l’arrangement est importante car elle économise des équipements et consolide concurrentiellement l’image des produits. Après étude, elle est débattue et remonte, par capillarité verticale les échelons stratégiques, en cooptant ceux qui peuvent « entendre » un tel trucage. Dans la culture du résultat forcené primé par le PDG Martin Winterkorn, cet arrangement résout en quelques lignes la tension entre des objectifs pratiquement intenables solidairement : pollution, marge, coût, position concurrentielle. Une fois décidé, le trucage est mis en place sur les modèles et le dispositif d’ensemble sollicite probablement de multiples acteurs opérationnels (vente, production, motorisation, informatique, contrôle qualité). Grosso modo, le système repère que l’automobile n’est pas roulante mais en banc d’essai (capot ouvert, voiture à l’arrêt d’après GPS, roues bloquées, le logiciel active alors une minoration temporaire des émissions). L’opération est si facile qu’il sera difficile de ne pas l’étendre à de nombreux modèles.
Tous ces acteurs sont donc liés par un pacte de transgression.
2. Pourquoi cela éclate ? Pourquoi aux USA ?
Un tel système n’est pas une anicroche qu’on peut oublier. Pour ceux qui savent, elle est présente, secrètement tapie dans tout discours de la marque. Elle est un cancer qui entache le discours officiel. Chaque occurrence publique, de la publicité des performances, à l’image de la marque, en passant par les résultats ou les dîners en ville ou la politique environnementale rappelle aux membres du pacte qu’ils participent d’un mensonge. Or, à notre époque de complexité subjective et de feuilletage des réseaux, c’est le destin des secrets d’apparaître. Qu’il s’agisse d’une confidence d’oreiller, d’un aveu à un prêtre ou d’une évocation devant un collègue estimé ou un étudiant brillant, ou encore d’une information à un militant en ces temps de menace sur le climat, quelqu'un a rompu le pacte.
L’informatique embarquée dans une automobile haut de gamme génère un programme informatique de l’ordre de 500 000 lignes de code. On ne trouve que si l’on sait ce qu’on cherche. Quelqu'un a soulagé sa conscience.
Il l’a fait loin de la firme et cela a rencontré une situation géostratégique cruciale. Le groupe Volkswagen, au vu des résultats du 1er semestre 2015 (108 milliards d’euros annoncés après une année 2014 de 202 milliards, soit une progression de plus de 10%) était en train de devenir leader, en Chine, aux États-Unis, devant les constructeurs américains. Abattre le concurrent, si on ne pouvait refréner la progression des produits était de bonne guerre économique. Cette information, au pays du mensonge impossible, est devenue stratégique. Prouver le mensonge, c’était faire tomber l’excellence, la réputation, et la cash-machine.
Après quoi, un prof de n’importe où, averti par un étudiant de n’importe où, alerte un labo « indépendant » et à la manière d’un Strauss-Kahn menotté en 12 heures, la marque Volkswagen, inexorablement, chute, avec démission du président en 48 heures.
3. Le coût
En 2015, la progression du chiffre d’affaire était conquérante jusqu'à la fin du premier semestre. La capitalisation boursière de V. pèse 64 milliards.
En 2 mois, le titre perd 35 %, soit 25 milliards qui rejoignent le CO2 dans l’atmosphère. L’action, qui était cotée 250 € en mars 2015 à la Bourse de Francfort se négocie en novembre 2015 autour de 120 €.
Les ventes s’effondrent, véhicules neufs et d’occasion. La Porsche Cayenne est retirée de la circulation aux États-Unis (les rappeurs et les traders se mettent au Vélib, ai-je lu cela quelque part ou l’ai-je rêvé ?). Entre 430.000 véhicules et 800 000, peut-être des millions, seraient (conditionnel car l’enquête interne n’a pas tout dévoilé) équipés de ce logiciel. Des propositions d’indemnisation sont faites aux propriétaires de véhicules neufs ou d’occasion (1 000 dollars, ce qui est jugé dérisoire par des clients prompts à se liguer en « class action »). Des ingénieurs convoqués en urgence dans les laboratoires de contrôle américains se font confisquer leur passeport à peine sortis de l'avion. En Europe, continent aux mœurs plus compréhensives et à la justice moins expéditive, les choses sont plus lentes et le groupe annonce « des mesures » pour 2016.
4. Les sanctions
A ce jour, nous n’avons eu aucune connaissance de sanctions prises en interne et motivées. La collusion entre des acteurs trahissant la déontologie d’ingénieur, l’éthique d’entreprise et la morale citoyenne ne semble pas avoir été nettement sanctionnée. L’auto-régulation par la firme est lente ou inexistante. Le Président a, certes, immédiatement démissionné (comment faire autrement, plutôt que hara-kiri ou auto-dénonciation avec aveu de tout le système ?) mais il est difficile à ce jour de savoir s’il a quitté le groupe sans les émoluments contractuellement prévus (il s’agirait d’après le Monde du 24 septembre, d’environ 30 millions d’euros, s’ajoutant à une retraite de 28 millions d’euros)? Quelques semaines plus tard, le Conseil d’Administration devait prononcer sa reconduction triomphale. Au lieu de cela, une démission qui reste honorable : pas de pénitence médiatique, pas de renvoi ignomigneux, pas d’amende ou de poursuite pour malversation. Peut-être des plaintes pour dégradations des dividendes et cours de l’action par les petits actionnaires ? Plaintes encore de propriétaires des modèles incriminés ou des pouvoirs publics ayant attribué des subventions « écologiques » (le KBA, autorité allemande chargée de l’automobile examine le remboursement des aides publiques allouées à Volkswagen) ou encore de concurrents s’estimant lésés ? Par ailleurs, dans la constellation de responsabilité, le rôle du nouveau Président, précédemment directeur de Porsche devrait être précisé.
Nous sommes dans le cas de figure d’industriels tels Union Carbide, BP, ou l’opérateur Tepco après Fukushima, tentant de se relever d’une colossale catastrophe aux répercussions incessantes (retour d’image sur industrie allemande, sur industrie automobile, sur filière diesel, sur modèles de la gamme et discours environnementaux, sur rentabilité d’un fleuron industriel).
5. La leçon est passionnante : L’impossibilité de respecter toutes les attentes stratégiques a entraîné une trahison de l’idéal affiché (littéralement, pécher par où l’on prêche : « c’est pourtant facile de ne pas se tromper » « personne n’est parfait « - sous-entendu, nos voitures, oui - étaient les concepts historiques de la marque), une trahison des employés honnêtes pris en otage par les tricheurs, tout en supposant « naïvement » qu’un tel pacte pouvait tenir dans la durée.
6. D’autre part, cette question de la responsabilité est ici exposée : jusqu'où aller pour protéger un intérêt ? Peut-on être responsable sans donner d’ordre ? (ma réponse est oui). Comment se prémunir de telles dérives, comment traiter la crise (volet interne, volet public) ? Il est intéressant que l’actuel président du Conseil de surveillance Volkswagen soit Berthold Huber, dirigeant du puissant syndicat IG Metal et amené à ce titre (co-gestion allemande) à valider les émoluments des directeurs.
Cette affaire survient chez un leader de l’automobile mais, évidemment, la suspicion est forte de trouver des tentations comparables chez les autres industriels, américains compris bien sûr, sans parler des pays émergents.
A titre personnel :
Bien sûr, dans le cas où un propriétaire extrêmement déçu, courroucé, trahi et se sentant coupable de pollution voulait se débarrasser de son Audi ou de sa Porsche qui ne peut plus rouler dignement, nous serions ravis de lui rendre le service de l’acquérir. Nous n’avons jamais cru un instant à la valeur des chiffres comme argument commercial. Nous ne croyons qu'à la beauté des formes et à la sensualité des régimes du moteur.
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