Ce blog est une manière de payer ma dette aux artistes, aux penseurs qui, l’air de rien, préfigurent des compréhensions contemporaines. Giono est l’un des plus manifestes de ces passeurs et les personnages de Panturle ou ceux de Baumugnes constituent dans ma pratique de coaching un repère Palo Giono qui vaut largement son Palo Alto.
Dans les méthodologies d’intervention, qui débutent toujours par un « décrire », Giono donne une autre leçon passionnante dans « Monologue », une nouvelle très peu commentée du recueil Faust au village. Ce texte décrit étape par étape, station par station s’il s’agissait d’un chemin initiatique, comment le territoire joue un rôle dans la vie des humains, en ce sens qu’il est leur cadre métaphysique, mythique, environnemental mais également le lieu de mémoire dans lequel basculent les générations. Le territoire dit la voix des ancêtres nous éclaire Giono l’abo.
C’est pourquoi Jean-Baptiste Voisin a pu évoquer à son propos une « atopie », un monde qui n’existe pas géographiquement mais littérairement. A ce piège du réalisme, le Reader ‘s Digest s’était en son temps égaré lorsqu’il avait retiré pour « falsification » à Giono le prix qu’il lui avait décerné après son Homme qui plantait des arbres, censé évoquer le personnage le plus extraordinaire qu’il ait jamais rencontré. Giono avait raconté illico « Elzeard Bouffiers », qui avait passé sa vie à transformer son pays par l’opiniâtreté de ses plantations de pirate du causse.
Ce «mort paisiblement à l’hospice de Banon en 1947 » n’avait pourtant jamais existé que dans l’imaginaire de Giono. Cela en défaisait-il le réalisme ? Ce geste de la plantation était-il faux ? N’était-il pas plausible ? Ne préside-t-il pas à la plantation chez l’ancien qui plante des oliviers ou des noyers dont il ne verra jamais les fruits ? Le personnage était inventé mais le geste était réaliste (comme vision sinon comme superficie d’hectares).
Dans le même esprit, je vais m’efforcer ici de mettre en évidence la formidable compréhension de Giono sur ce qui fait « pays » et dont le monument théorique, exhaustif et généreux se trouve entier contenu dans la courte nouvelle, le court essai descriptif « Monologue » du recueil Faust au village. Il est possible qu’à la manière du Reader‘s Digest, je me sois fait « promener » dans un rêve éveillé de Giono aux allures d’essai réel de compréhension mais il me plait qu’en si peu de pages soient noués tous les brins attachés à un lieu, brins végétaux comme brins légendaires. Je laisse à d’autres le soin de vérifier les sources et « prétextes géographiques », il m’importe plutôt de relever à la suite de Giono ce qui pourrait faire lieu dans une appartenance de culture.
Dans la suite de Giono, voici donc ce que serait une théorie du lieu vécu, hypothèse systémique incontournable pour tout intervenant qui prétendrait comprendre ou infléchir ce qui fait histoire et discours dans un territoire.
Le texte « Monologue » comprend 20 pages dans la collection l’Imaginaire.
Je l’ai découpé en onze stations qui en dessinent la constellation théorique. Elles sont les haltes polysémiques de l’arpentage rigoureux de Giono. Je les restitue dans l’ordre impeccable implacable de l’auteur, au risque de la paraphrase borgesienne (commenter le texte en le reproduisant indéfiniment).
Station 1 : Le paysage est une force
Vue presque bucolique : « Nous habitons un pays qui, autour de nous, joue un grand rôle [souligné par l’Auteur]. Et, en cette saison, qui est l’automne, nous avons le temps de le regarder. C’est un canton ombreux, chargé d’arbres, actuellement baigné dans les brumes de la saison ? A ras du sol, les horizons sont de lait, mais, si on relève l’œil, au-dessus du brouillard flottent les cimes des montagnes. »
Je passe sur l’aisance descriptive de Giono, l’un des rares auteurs français dont on ne puisse négliger une description de paysage ou de physionomie. Le premier mot, « Nous », redoublé par « autour de nous », nous inscrit dans ces coordonnées puisqu’il désigne tout autant l’habitant que le lecteur, tout sujet à racines. Le pays, autour de nous joue un grand rôle. Le pays n’est pas un cadre, bien qu’il soit autour, mais un acteur, une puissance. « Chargé d’arbres », « brumeux », flottaison des cimes à l’horizon, rien n’y est décidable et le mystère « ombreux » s’y engage à partir déjà de son paysage contemplé (et bien sûr décrit).
Ce rôle, surplombant, englobant et annonciateur est éminent également dans la page d’ouverture de Un roi sans divertissement : « C’est l’Apollon-citharède des hêtres. (..) Il est hors de doute qu’il se connaît et se juge ».
Station 2. L’ Histoire apparaît au bout de n’importe quel chemin d’espace
« De vieux ormeaux bordent les chemins qui mènent à des maisons de maître. Quand on remonte ces chemins, on est guetté à travers les feuillages par de belles façades. On arrive sur une esplanade d’herbe. Il y a là un prisonnier allemand très affairé à un travail inutile. Il emmanche une hache comme si c’était un travail d’horlogerie alors qu’il suffirait de taper le bout du manche sur le billot pour que le fer se coince ; et ça tiendrait ce que ça tiendrait ».
Les temporalités des ormeaux, de l’outil qui tiendra plus ou moins longtemps, se télescopent avec le temps de l’Histoire. Un prisonnier allemand est l’attribut de ces maisons dont les façades nous « guettent » (toujours cette puissance du lieu).
L' Histoire, lorsqu’elle est à dimension humaine est débonnaire, apprivoisée.
« Toutes ces maisons ont un prisonnier allemand, jamais deux, un, chacune. Il allume le feu ; il fait le café. Il le monte au vieux type, ou à la vieille fille ».
Le prisonnier allemand prépare le café. Il sait combien de sucres sont nécessaires et monte la tasse à l’étage. Dans les fermes, les combattants démobilisés, oublient la guerre et se ré-humanisent. Le pays, dans sa dimension positive répare.
A suivre prochainement.....
Cela vaut pour tout environnement et je propose que ce texte figure dans la formation de tout métier d’intervention (développement, accompagnement, communication, médiation...).
Jean Giono est un immense romancier rendu méconnu par une apparence d’écrivain régionaliste. Pourtant il n’écrit pas sur la Provence : celle-ci est pour lui l’accès à ce qui fait pays en chacun de nous.C’est pourquoi Jean-Baptiste Voisin a pu évoquer à son propos une « atopie », un monde qui n’existe pas géographiquement mais littérairement. A ce piège du réalisme, le Reader ‘s Digest s’était en son temps égaré lorsqu’il avait retiré pour « falsification » à Giono le prix qu’il lui avait décerné après son Homme qui plantait des arbres, censé évoquer le personnage le plus extraordinaire qu’il ait jamais rencontré. Giono avait raconté illico « Elzeard Bouffiers », qui avait passé sa vie à transformer son pays par l’opiniâtreté de ses plantations de pirate du causse.
Ce «mort paisiblement à l’hospice de Banon en 1947 » n’avait pourtant jamais existé que dans l’imaginaire de Giono. Cela en défaisait-il le réalisme ? Ce geste de la plantation était-il faux ? N’était-il pas plausible ? Ne préside-t-il pas à la plantation chez l’ancien qui plante des oliviers ou des noyers dont il ne verra jamais les fruits ? Le personnage était inventé mais le geste était réaliste (comme vision sinon comme superficie d’hectares).
Dans le même esprit, je vais m’efforcer ici de mettre en évidence la formidable compréhension de Giono sur ce qui fait « pays » et dont le monument théorique, exhaustif et généreux se trouve entier contenu dans la courte nouvelle, le court essai descriptif « Monologue » du recueil Faust au village. Il est possible qu’à la manière du Reader‘s Digest, je me sois fait « promener » dans un rêve éveillé de Giono aux allures d’essai réel de compréhension mais il me plait qu’en si peu de pages soient noués tous les brins attachés à un lieu, brins végétaux comme brins légendaires. Je laisse à d’autres le soin de vérifier les sources et « prétextes géographiques », il m’importe plutôt de relever à la suite de Giono ce qui pourrait faire lieu dans une appartenance de culture.
Dans la suite de Giono, voici donc ce que serait une théorie du lieu vécu, hypothèse systémique incontournable pour tout intervenant qui prétendrait comprendre ou infléchir ce qui fait histoire et discours dans un territoire.
Le texte « Monologue » comprend 20 pages dans la collection l’Imaginaire.
Je l’ai découpé en onze stations qui en dessinent la constellation théorique. Elles sont les haltes polysémiques de l’arpentage rigoureux de Giono. Je les restitue dans l’ordre impeccable implacable de l’auteur, au risque de la paraphrase borgesienne (commenter le texte en le reproduisant indéfiniment).
Station 1 : Le paysage est une force
Vue presque bucolique : « Nous habitons un pays qui, autour de nous, joue un grand rôle [souligné par l’Auteur]. Et, en cette saison, qui est l’automne, nous avons le temps de le regarder. C’est un canton ombreux, chargé d’arbres, actuellement baigné dans les brumes de la saison ? A ras du sol, les horizons sont de lait, mais, si on relève l’œil, au-dessus du brouillard flottent les cimes des montagnes. »
Je passe sur l’aisance descriptive de Giono, l’un des rares auteurs français dont on ne puisse négliger une description de paysage ou de physionomie. Le premier mot, « Nous », redoublé par « autour de nous », nous inscrit dans ces coordonnées puisqu’il désigne tout autant l’habitant que le lecteur, tout sujet à racines. Le pays, autour de nous joue un grand rôle. Le pays n’est pas un cadre, bien qu’il soit autour, mais un acteur, une puissance. « Chargé d’arbres », « brumeux », flottaison des cimes à l’horizon, rien n’y est décidable et le mystère « ombreux » s’y engage à partir déjà de son paysage contemplé (et bien sûr décrit).
Ce rôle, surplombant, englobant et annonciateur est éminent également dans la page d’ouverture de Un roi sans divertissement : « C’est l’Apollon-citharède des hêtres. (..) Il est hors de doute qu’il se connaît et se juge ».
Station 2. L’ Histoire apparaît au bout de n’importe quel chemin d’espace
« De vieux ormeaux bordent les chemins qui mènent à des maisons de maître. Quand on remonte ces chemins, on est guetté à travers les feuillages par de belles façades. On arrive sur une esplanade d’herbe. Il y a là un prisonnier allemand très affairé à un travail inutile. Il emmanche une hache comme si c’était un travail d’horlogerie alors qu’il suffirait de taper le bout du manche sur le billot pour que le fer se coince ; et ça tiendrait ce que ça tiendrait ».
Les temporalités des ormeaux, de l’outil qui tiendra plus ou moins longtemps, se télescopent avec le temps de l’Histoire. Un prisonnier allemand est l’attribut de ces maisons dont les façades nous « guettent » (toujours cette puissance du lieu).
L' Histoire, lorsqu’elle est à dimension humaine est débonnaire, apprivoisée.
« Toutes ces maisons ont un prisonnier allemand, jamais deux, un, chacune. Il allume le feu ; il fait le café. Il le monte au vieux type, ou à la vieille fille ».
Le prisonnier allemand prépare le café. Il sait combien de sucres sont nécessaires et monte la tasse à l’étage. Dans les fermes, les combattants démobilisés, oublient la guerre et se ré-humanisent. Le pays, dans sa dimension positive répare.
A suivre prochainement.....
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