Ce week-end, le journal Libération retrouvait son accessibilité historique : un journal ouvert à ses lecteurs, en porosité nourricière. Comme une réminiscence du temps d’avant les sas, les accueils, quand le journal s’inventait chaque jour, dans une nécessité de parole juste et en proximité avec le lecteur. En province, le lecteur hébergeait le journaliste, pas content le lecteur entrait au journal, et velléitaire écrivant il proposait ses articles. Temps épiques maoïstes, bien plus libertaires qu’en Chine réelle.
Et puis le journal s’est développé, constitué, devenu une entreprise, avec actionnaires, élus, organigramme, disparités salariales jusqu’à ce que écartelé par des tensions grandissantes entre rentabilité, performance, projet éditorial, crise de la presse écrite, il redécouvre l’authenticité de son exigence sur le mode d’un cri de rage, mêlant humilité et orgueil : « nous sommes un journal ». Car c’est bien parce que « ils sont un journal », comme communauté de projet, comme production quotidienne, comme écriture du monde qu’ils apparaissent comme marque et entreprise et non pas le contraire. La marque a une valeur considérable mais tant qu’elle est revivifiée, ensemencée (histoires de désir) par des journalistes et des lecteurs.
Nous sommes des lecteurs
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Samedi 15 mars 2014 - Libération et la culture, salle du hublot |
Donc retour aux fondamentaux : Libération s’ouvrait samedi, « corps et âme », à ses lecteurs : déambulations en grappes familiales, beaucoup de tout-petits, dans la vis du journal, discussions sur la terrasse dont la vue sur Paris faisait ressentir l’émotion Rastignac d'un July certain de sa vision conquérante. Les journalistes (bon, leurs enfants ?) avaient fait des gâteaux au prix libre, chacun se faisait tirer le portrait par l’équipe de photographes, souriants, épuisés, attentifs à approcher la singularité de chaque visiteur. Et puis des tables rondes, avec l’exhortation répétée à ce que les visiteurs donnent leur avis, fassent critique, proposent.
Et, un peu partout, faisant visiter, discutant à la volée, échangeant publiquement en table ronde, des journalistes de Libération parlaient, écoutaient leurs visiteurs, réfléchissaient à voix haute. On aurait pu s’attendre à des discours d’autorité : information, point de vue, appels à soutien mais de fait, nous avons participé à une interrogation partagée, avec un véritable plaisir de l’échange. Les journalistes étaient heureux de notre intérêt et de nos points de vue, et nous étions heureux d’être si véritablement considérés. Cette crise finale est l’excellent début de quelque chose.
Qu’apprenons-nous ?
Dans nos enseignements d’anthropologie des groupes contractuels, l’étude de cas d’un journal est