L’une de nos missions d’accompagnement d'étude et stratégie a concerné L’Adapt qui développe de multiples actions auprès des personnes en situation de handicap. La spécificité de l’association est de maintenir l’initiative de la personne et des familles, tant en termes de soin et d’autonomie que dans l’exercice d’une profession ou d’une passion. Ici le théâtre de création nous indique la voie d’une place authentiquement inédite.
Les oiseaux est une pièce d’Aristophane qui raconte le périple, la tentative de quelques humains pour créer une ville nouvelle où se rejouerait une nouvelle humanisation, une cité délivrée des contraintes du politique, du droit mais aussi de la révérence cultuelle.
Pas d’autre place finalement que dans l’aérien, entre l’éther des Olympiens et la terre des humains civilisés. Un lieu qui accueillerait un chatoiement et une insouciance identiques à ceux des oiseaux. Ces pionniers rencontrent donc des oiseaux, se donnent des ailes et les voilà là-haut, tentant de réinventer le vivre-ensemble, à se cogner aux frontières de leur être.
L’idée radicale et parfaite de Madeleine Louarn tient à l’incarnation sur scène qui est faite de ce périple par une troupe d’acteurs qui partagent la condition du handicap mental (le CAT bien nommé Catalyse).
Les oiseaux, les humains, les dieux apparaissent au travers d’acteurs qui dans la vie ...
quotidienne, ressentent probablement parfois quelques difficultés relationnelles mais dont la particularité constitue sur scène une ressource extraordinaire : du jamais vu, pas courant et parfaitement ajusté au trébuchement d’être que parcourt la pièce.
Ils trébuchent sur les mots, sur les marches du décor. Comme devant un trapéziste on est suspendu à leurs tentatives. Et ce qui les fait rire n'est pas douteux : leur drôlerie est carrée, surgit de la trivialité d'un ton , de la générosité d'une danse dont ils pressentent qu'elle est pour nous inattendue.
Ainsi, ce qui se joue sur le plateau est littéralement une scène du risque de vivre, de la question sans réponse, du désarroi existentiel. C'est la nôtre, rendue visible par l'exacerbation de présence de ces acteurs dont chaque pas est contingent, risqué, entre la nature qui nous parcourt et la culture qui nous habite.
La scénographie soutient parfaitement l'exercice : une souffleuse rappelle, suscite du texte, comme un discours nous vient en bouche ; des fragments de texte, des noms d'oiseau sont projetés et soutiennent la parole, lorsqu'elle n'est pas clairement audible. Mais qu'est-ce qu'une parole audible chez les humains ? La langue nous précède, nous convoque, nous dépasse et toute énonciation est un accident.
Outre la dimension métaphysique de la tentative d’un lieu pleinement humain, la vieille question de l'acteur qui joue à être est subvertie : les acteurs ne jouent pas à se rapprocher de nous, ils jouent entre eux avec ce texte, prennent plaisir à notre assistance et c'est le spectateur qui se projette en eux.
Ça s'appelle une expérience commune. Merci les artistes !
Création - Festival d'Automne