23 décembre 2013

La valeur (éthique) d’une rémunération

Pour le plaisir de nos ouvertures sur l’éthique, voici une comparaison édifiante de l’année 2013 sur le rapport à la rémunération.
En 2013, Philippe Varin a quitté le groupe Peugeot en imaginant bénéficier de sa retraite « chapeau » de 21 millions d’euros (en fait 310 000 euros annuels pendant 25 ans, clause engagée à la signature de son contrat) sur fond de crise industrielle du groupe, entrée substantielle de partenaires chinois au capital, fermeture de l’usine d’Aulnay, après primes d’arrivée, stock-option et salaire effectif bien conséquent (et mérité, le temps de ses responsabilités). La même année, on apprend que Jose Mujica, Président d’un petit pays discret de l’Amérique du Sud renonce à 90% de son indemnité présidentielle (en le donnant à des programmes sociaux) avec un argument très simple : « je n’ai pas besoin de tant d’argent ». Il cultive son potager, cuisine avec sa femme et vit dans sa ferme, à faible distance du palais présidentiel de Montevideo. Cet abandon et cette manifestation d’un intérêt général supérieur déclenchent pour « Pepe Mujica », le président uruguayen attention et prises de positions. La notoriété de l’Uruguay s’est considérablement développée, avec les flux touristiques qui en découlent et l’intérêt pour les expériences qui s’y déroulent, l’une d’entre elles portant spectaculairement sur la légalisation de la marijuana, non pas pour des raisons hédonistes mais ici encore dans la perspective pragmatique d’en tarir les revenus illégaux générés par la prohibition, dérive financière qui met à bas de nombreux états sud-américains.
Récemment, l’artiste Martin Sastre a présenté une vidéo, explicitement publicitaire pour le parfum U (You, aussi bien qu’Uruguay), dans laquelle l’artiste cambriole une banque (la Banque centrale Uruguayenne a prêté ses locaux) dont le coffre-fort recèle un flacon de fragrance, trésor national. Ce parfum, codé par tous les attributs de l’ultra-luxe (valeur, exception, singularité, sensualité) a été produit par l’artiste à partir des fleurs qu’il a récoltées dans les champs du Président, qui apparaît, débonnaire en chapeau de paille, dans le clip. Le « concept » prévoyait que le flacon-œuvre soit vendu aux enchères à la Biennale de Venise 2013, 90% de la somme contribuant à financer la création du premier Fonds d’Art Contemporain Uruguayen. Effectivement, la vidéo a été vue 20 000 fois en 3 jours et le flacon vendu 50 000 dollars, ce qui en fait la fragrance la plus coûteuse et rentable de l’histoire de la parfumerie... Ainsi, la posture éthique et décroissante du Président a un impact, y compris économique, très considérable. Sans parler de l’impact politique de son éthique de gouvernance et dans le monde hispanophone. Essayez de citer le nom d’un prédécesseur de ce Président... Nos sociétés sont travaillées par la question de la valeur et du lien social. La décision de « Pepe » Mujica, qui ne visait à rien d’autre qu’une cohérence éthique de rupture tranquille avec le système classique du pouvoir, a une portée significative, en sens et en économie, en particulier auprès de jeunesses désidéologisées mais qui se préoccupent du tangible et du respect de soi et des autres. Philippe Varin a fort justement renoncé à ses indemnités. Il eut gagné bien plus encore à les repousser d’avance dans le contexte de sous-performance qu’il n’avait su empêcher. Manager, c’est incarner. Incarner, c’est vivre le prix de ses convictions et de la vision partagée. 2014 va nous passionner.

13 novembre 2013

Le management collaboratif pris au mot par l’Artiste

La 55eme Biennale de Venise a récompensé par une Mention Spéciale Abstract speaking‐sharing uncertainty and collective acts, un ensemble d’œuvres de Koki Tanaka qui, en réponse à l’intitulé Il palazzo enciclopedico développe une approche incertaine et précaire de la connaissance reposant sur l’établissement d’une communauté minimale. C’est une métaphore de ce que j’appelle « l’entreprendre » : une communauté de projet qui s’établit ponctuellement (le temps du projet) et humblement (en bricolant avec l’existant humain, pas forcément avec les meilleurs du monde et pas forcément avec tous les moyens).
Koki Tanaka, dans la mémoire de Fukushima, "tsunamée" puis radioactive, doublement submergée par le destin naturel et l’impéritie humaine, propose de ré-établir du commun à partir d’actes élémentaires (notamment son programme Precarious tasks). Ceux-ci sont intimes et partagés, tels un sommeil raconté ouvrant sur des rêves mis en commun, un échange sur les noms de famille qui sont les nôtres tout en dînant de rations de survie pour réfugiés de Fukushima.
Plus managériaux, les réflexions sur le collaboratif inventent des tâches nécessitant concertation : jouer du piano simultanément à 5, mais surtout la performance visant à faire réaliser collectivement une coupe de cheveux sur une personne par 9 coiffeurs.

Koki Tanaka, Hairdressers
Réalisé à San Francisco, avec des coiffeurs professionnels de diverses origines culturelles, l’exercice est un condensé méthodologique de management collaboratif : mise au service du modèle (on débute par un dialogue à propos de ses rêves, de son moment de vie), débat à la table autour des possibilités et propositions, dessin de l’architecture générale, passage à la réalisation avec délégation des interventions, corrections en temps réel, réactions du client, indices du plaisir chez les coiffeurs intervenants, puis célébration de l’aboutissement. Le collaboratif s’y avère à la fois productif, à construire, inédit (non prédictible dans sa forme), au service d’un projet-client, et nécessairement méthodologisé par des temps de médiation. J’ai d’ores et déjà mis au programme de mes formations managériales ce petit bijou de bricolage collaboratif accompli.
Vous pouvez voir/revoir son travail en cliquant ici

4 novembre 2013

Les âges de l’éthique, Tony Montana et GTA V

Si durant la journée, je développe mes séminaires d’automne sur l’éthique, il m’arrive aussi le soir de jouer, de rencontrer du monde et d’en tirer en ces occasions de nouveaux enseignements.

Tony Montana, une référence générationnelle
Jouant à Time’s up, un jeu où il s’agit que des équipiers fassent trouver à leur partenaire un nom de personnage, fictif ou réel, j’ai encore une fois constaté l’écart générationnel des évidences culturelles. Souvent apparu dans les ateliers créatifs (projectifs sur l’image de soi) de communication en grandes écoles, là encore, dans ce petit jeu de soirée, un nom était partagé par ce couple de jeunes joueurs (21 ans) comme une évidence : Tony Montana. Héros de Scarface, le film de Brian de Palma - l’ascension et la dégringolade de Tony Montana - a été vu et revu en DVD (pas au cinéma), par de nombreux jeunes gens. S’il n’est un guide-modèle que dans

30 octobre 2013

55ème Biennale d'art contemporain (Il palazzo enciclopedico)

Dernières lueurs encyclopédiques, le recours anthropologique
Bien sûr c'est parfois légère écume et, débarquant de leur gondole, un Tintoret ou un Carpaccio seraient probablement décontenancés par quelques gribouillis mais heureusement ça n'arrivera pas. Enciclopedico, dans toutes les langues (hormis arabe, hébreu, japonais, chinois mais ils comprennent).
Cette année le thème de la Biennale est "Il palazzo enciclopedico" (dénomination justement exhaustivement compréhensible dans toutes les langues occidentales) et c'est une question passionnante et nécessaire : une tentative de repérer cette inspiration dans les systèmes de connaissance et de représentation dans le temps même où Google se propose comme cerveau du monde.
Rapidement, très rapidement et injustement, j'avancerai que dans toutes ces propositions, celles en tout cas qui se sont vraiment affrontées à la question, deux types de perspective apparaissent :
- celles d'une ontologie essentielle et mystérieuse (au sens d’un rituel) de la nature,
- et celles d'un effort vain, éprouvant et humble de constituer de la connaissance au travers de communautés de projet.
Mettons de côté les expériences concrètes de totaliser la connaissance : au mieux, c'est daté, Pic de la Mirandole, Leopardi ( d'un temps où le savoir paraissait unitaire et totalisable). Jung et Steiner qui

28 octobre 2013

Venise, capitale du Monde (des images)


En tout lieu du monde on peut en saisir la pulsation, l'écho mais certains exposent cette lisibilité avec un rendu plus vibratile.
Paquebot se mirant en Saint-Marc
Vous le dirai-je de Venise ? Cité-État qui jusqu'au XVIIIe (jusqu’à Napoléon) a été le centre bruissant et puissant de l'échange avec l'Orient, lieu d'une convergence jalouse du luxe, de la puissance et des arts. Un long assoupissement ensuite aplani par les marées touristiques, venues se prosterner vers un message de beauté qui leur renvoie l'inanité de leur passage. Stupides comme toute horde mais ne se trompant pas d'adresse (de mythe). De même que sous la Tour Eiffel, le passage des nations, le bruit des langues nous y disent en un instant l'état géopolitique des apparitions, le style des classes moyennes planétaires, et encore le moment des technologies et des attitudes de représentation. Ils ne voient pas l'habitant, l'habitant les frôle, car il serait épuisant, stérile et perturbant de les considérer personnellement comme étrangers individuels.
À Venise, je dirais qu'en moyenne journalière il se prend 500000 photos. En certains endroits, il n'est pas possible de prendre une photo sans être soi-même pris en photo, une orgie numérique assez rafraîchissante. Tout a été dit et représenté à

21 octobre 2013

Au théâtre le temps ne se mesure plus

Chacun des spectacles du Théâtre de la démesure accomplit et participe d’un irremplaçable moment du théâtre.
Temps de pose est le dernier, par nous vu en sa dernière représentation de Montreuil (93).

Voyage du Grand Médiateur Culturel dans l'univers des formes
Il s’agit de déployer, d’interroger et de savourer ce que produit chez nous, spectateurs, le voyage d’une forme, saisie, arrêtée, élaborée une fois par un artiste. Les mots qui commentent ce propos sont multiples car la Démesure du projet est de nous en faire partager l’inépuisable et inassignable ressource. Dans le flux du réel, un artiste prétend faire arrêt, à partir d’une pose qu’il suppose pouvoir adresser à un spectateur, destinataire, commanditaire à venir. Le théâtre, par son commerce de signes et sa question d’un sens partagé, est le lieu privilégié de cet examen.
Évidemment c’est désopilant car cette saisie est à chaque fois une caricature d’elle-même. L’artiste comme imposteur qui n’atteindra jamais le Graal qu’il vise. La pose est une prédation, un sacrifice, un arrachement, un don et les traditions « sauvages-naïves » étaient bien averties de s’interroger sur le risque du portrait photographique ou religieux, tant pour le « saisi » que pour le « regardeur »...
photo Nadar - ©RMN
Chacun de ces moments : l’autoportrait de Gustave Courbet en désespéré, Sarah Bernhardt par Nadar, Le Caravage en sa commande christique, Yves Klein dans le vide ou encore la performance comme action interrogative sont jubilatoirement dépecés, raboutés, mais très respectueusement soutenus. On y entend les heures d’improvisation, l’appropriation des œuvres, le scalpel de la mise en scène finale et toujours cette signature de l’incontournable prise en compte de la tradition du théâtre et du sens de l’instant théâtral. Chaque acteur, chaque spectacle est un héritier et cette compagnie le garde en scène à tout instant. S’y conjuguent donc de manière très rare une absolue légèreté, générationnelle, et une interrogation démesurée, sans âge et donc d’avenir.
Je n’oublierai pas de revenir vers eux et il est sûr que nous y serons de plus en plus nombreux. Temps de pose – par le Théâtre de la Démesure
Théâtre Berthelot – Montreuil-sous-Bois – du 16 au 19 octobre 2013

29 septembre 2013

Grand Central, les liens nucléaires

Le générique annonce la couleur : du rouge, du cœur, du danger, du son.
Grand Central parle de l’essentiel : le cœur nucléaire du monde contemporain, le cœur des fraternités de travail, le cœur des incendies amoureux.

Le film de Rebecca Zlotowski est littéralement humble : à hauteur d’homme, d’ouvrier, à hauteur de terre. Humains surplombés par les tours, avalés par la gueule du réacteur.
Humble car il s’attache aux sans-grades, aux hors-classe, ni cols blancs, ni cols bleus : les mercenaires du nucléaire. Bien payés, solides, défiés par le danger et la fourberie des radiations.
Ça évoque les films de Renoir, le Gabin de la Bête humaine, avec les corps massifs d’ouvriers, la tonitruance de ceux qui exposent leur corps. On s’y frotte la peau pour la décontaminer, pour s’empoigner, pour s’aimer.

Le management « réaliste »
Les managers et les RH apparaissent furtivement, pour l’embauche et quand ça va mal. Des femmes à chaque fois, pas très compassionnelles : à l’embauche, à chaque mention de compétence douteuse, la recruteuse commente d’un « Ça ira... ! » qui étonne le candidat, lui-même baratineur.
Quand il y a dépassement des doses, la responsable surgit, pas hostile mais brutale, réaliste, cash. On est loin du manager-coach, plutôt dans la culture de mercenaire, de chantier précaire. conducteur de travaux : efficience, compréhension des transgressions dans le respect de l’objectif final. Sentiment pour tous d’être au cœur de « la vraie vie. »
C’est que l’essentiel tient dans l’exposition au risque, soutenue par l’argent « facile » et la fraternité du camp des intérimaires : solidarité, formation, exubérance.

L’inclusion des exclus
Ce film montre également toute la porosité entre précarité et mercenariat salarié sur un mode documentaire rarement abordé au cinéma. Vaguement délinquants, petits casiers, larcins opportunistes, ils cherchent tout de même à travailler, au gré des engagements. Quand ils achètent une voiture c’est à des gitans, l’argent est liquide, on se le prête,

2 mai 2013

Trois figures masculines du déni de différence


L’une des difficultés de la dynamique de mixité tient à ce qu’elle n’est pas toujours perçue et parfois même déniée, souvent côté hommes. Aujourd’hui, côté hommes, nous rencontrons souvent trois figures typiques du déni de différence en mixité.
Les voici, issues de nos interventions les plus récentes (avril 2013) :

1. Le jeune moderne : « C’est révolu »
Il est jeune, 20-25-30 ans et pense que oui, « avant », pour sa mère sans doute mais que cela ne concerne plus sa génération. A présent, en camaraderie égalitaire, filles et garçons se côtoient, dans le respect et l’indifférence. Pourtant, qu’on lance un débat sur la sécurité au travail, l’impact de l’humour ou la représentation d’un groupe majoritairement masculin par une fille et l’on constate que de la différence en travail se manifeste.

Exemple de débat récent : un vol avec violence de plusieurs milliers d’euros vient de se produire sur un campus universitaire. Aucune communication n’en a été faite et les étudiants, qui l’ont apprise par la rumeur, s’interrogent sur l’intérêt ou pas d’une communication pertinente. Or plusieurs femmes, dans des interventions différentes, mentionnent dans leur réflexion le thème de la « sécurité ». Avant qu’elles ne terminent leur phrase, elles seront systématiquement interrompues par des garçons, qui signalent avec véhémence qu’ils ne veulent pas de vigiles, ou indiquer leur identité pour entrer, ce qu’aucune n’a demandé. En fait, elles réfléchissent à voix haute à partir d’un inconfort qu’elles ressentent et traduisent par problème "de sécurité" et certains hommes y répondent immédiatement par « on n’a pas peur ».

Dès qu’on creuse, qu’on pose des thématiques particulières, chaque génération est tenue de se coltiner, en des termes qui lui appartiennent, le grand partage.

2. Il a environ 60 ans. « C’est personnellement résolu, faites comme moi »
Il a connu ces problèmes mais c’est le passé ; les revendications féministes, la contraception ont apporté des changements nécessaires et il en a tiré les conclusions, il s’est libéré des stéréotypes, et notamment de celui qui dirait qu’il y a de la différence.

Particularité fréquente : il prend à partie toute femme qui douterait d’elle-même, qui chercherait à faire le point sur ses propres attitudes, en l’invitant à « se défaire » de ces œillères : « avec des réflexions comme cela, vous creusez votre propre tombe ». Phrase prononcée par un manager expérimenté à une femme, plus jeune, se demandant, s’il était judicieux de confier à une nouvelle manager un programme de 30 millions d’euros dans le BTP domaine dont on sait qu’il n’est pas encore pleinement mixte.
L’assurance (en public) de ce manager est péremptoire, sa rhétorique agressivement protectrice. On pourrait dire qu’ « il est très mec », ce qui peut être une qualité mais pas dans ce cas d’interaction mixte sur le thème de la mixité. L’intérêt de sa contestation avec autorité : son expérience et sa réactivité sont telles qu’il livre facilement des exemples de différenciation effective (« c’est vrai que dans le domaine de l’exploration, j’ai remarqué que les équipes mixtes de géologues, étaient plus… »).

3. Il a 30-50 ans. « Il n’y aura plus ni hommes, ni femmes »
C’est un intellectuel, consultant, sociologue, philosophe, DRH dans un débat public. Il a du recul, se connaît et aime problématiser les situations. Pour lui, la différence c’est de l’idéologie, du stéréotype ringard et le management éclairé traitera cela à la fois avec condescendance envers les préjugés et rigueur des procédures et des chartes.
C’est Saint Paul DRH : il n’ y aura plus ni romains, ni barbares, ni juifs, ni païens, ni hommes, ni femmes, mais des salariés identiques en ressources.

Notre point de vue : Prudence envers l’universalisme facile, il masque une difficulté à reconnaître les histoires, les trajectoires et les processualités. La mixité en management n’est pas une objurgation éclairée à bien se comporter, c’est d’abord une prise en compte de tout ce qui alimente une culture de genre dans une organisation déterminée : métiers, biographies, profil entreprise, approche clients, etc.. afin de la réorienter vers ses possibles ambitions.

30 avril 2013

Différence des genres, quand les Dieux s’en mêlaient

Il se donne en ce moment à Saint-Denis, proche de Paris, dans une mise en scène de Jean-Pierre Vincent une pièce qui explore les contournements de l’amour quand la société impose ses cadres.

Etant « évident » qu’une fille sera un fardeau pour ses parents vieillissants, un père de famille oblige son épouse à mettre au monde un garçon ou à se défaire (mettre à mort) de la fille qui viendrait à naître. Cela ne se passe pas en Inde, en Chine ou chez des talibans dotés d’échographies modernes mais dans une antiquité redessinée par un jeune auteur du XVIIeme siècle, Isaac de Benserade.

Evidemment c’est une fille qui naît et la mère, afin de la protéger, l’éduque en jeune garçon.

C’est à peu près jouable en un temps où finalement le vêtement disait l’ordre : encore au début du XXeme siècle, comme on portait chapeau, casquette, béret, tel on était.


DR

Mais ce jeune « garçon » grandit et fatalement tombe amoureux d’une fort jolie demoiselle. Tous les parents s’en réjouissent, sauf la mère qui sait qu’il y aura dévoilement de la vérité des corps et fatalement désastre social, amoureux et sentimental.

Cette comédie des apparences agence, de proche en proche, une cascade d’autres séductions des protagonistes et témoins puisque ce jeune auteur sait qu’on aime souvent en dehors du prémédité mais toujours dans le malentendu.

Chacun attend donc la vérité de la nuit pour que le genre prétendu s’ordonne avec le sexe naturel. La surprise est double : 1. l’amour n’en est pas empêché, ces filles s’aiment intimement et sont difficiles à séparer publiquement (pas de mariage pour toutes, ici).

2. Isis, en écho des métamorphoses d’Ovide, accomplit cependant chez le jeune époux la transformation à laquelle il/elle aspirait et il se trouve affublé d’un sexe masculin qui lui confère l’attribut qui lui était socialement nécessaire..  Le danger était violemment proche, signalé par le père de la mariée (Eric Frey), dont le jeu inquiète, menace et dissimule sous le voile de l’incrédulité.

On rit beaucoup pendant la pièce, et pourtant avec mélancolie car finalement, les métamorphoses d’Ovide sont un contournement de l’impossible : les héros meurent mais sont transformés en astres, en plantes qui disent pour toujours la passion ou le destin. Ils échouent à vivre mais témoignent dans un autre ordre. De ce point de vue les jeunes Iphis et Ianthe restent prises dans leur impasse de vie et s’en tirent par subterfuge d’auteur, de Dieux, d’actrices et de metteur en scène. Tout cela n’aura-t-il été que « pour faire parler les théâtres de nous » ? se demandent les personnages. La réponse est oui. De même que les péripéties des films d’Hollywood ne peuvent précisément pas se produire dans la vie, ces événements se produisent sur la scène théâtrale car impossibles dans la société du XVIIeme siècle. Notre siècle regarde ces péripéties comme une curiosité, puisqu’à présent notre désir est un dieu.

Iphis et Iante, d’Isaac de Benserade, mise en scène de Jean-Pierre Vincent
jusqu’au 6 mai au Théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis. www.theatregerardphilippe.com

9 avril 2013

Cahuzac, le désastre de l'astre


Peu d’hommes touchent à ce point d’unanimité, dans l’appréciation lorsqu’il était ministre délégué chargé du budget, dans l’indignité lorsqu’il s’avère « mentir par où il prêche ».
A ce point d’assentiment, ce n’est plus un fait divers mais un destin d’époque.
Sur le fond, sur la mise en scène, la messe est dite : l’homme politique est fini, l’homme privé n’est pas tiré d’affaires. Il lui faudra payer la faute et inventer une suite, changer de secteur, de pays ou de nom.
La question qui m’intéresse ici n’est pas comment a-t-il pu faire cela mais plutôt comment n’a-t-il pu le défaire ? L’hypothèse que j’avance, c’est qu’il ne pouvait le défaire car cette transgression, cet impossible qu’il s’était concilié, était probablement le secret noir de son aura publique.

1. Premier point : les sommes qu’on évoque (de l’ordre de 600 000 euros) ne peuvent s’oublier, même pour un riche chirurgien. Cela ne s’est pas gagné sur un coup, brutalement mais lentement, au fil des ans. Il a donc vécu constamment dans cette connaissance, tous les choix décisifs qu’il a pu faire ont probablement sollicité cette dimension : la vie privée, les rêves d’acquisition, la transmission de patrimoine, la possibilité d’un investissement, ou même une suspension d’activité. Cette ressource secrète, dont il ne semble pas avoir disposé (mais nous apprendrons – car tout se saura –  qu’il y a peut-être eu recours dans des moments décisifs et qu'il l'a probablement longtemps alimenté) ne peut être oubliée. Intouchée, elle permet le rêve, l’assurance que tout est possible et rappelle à son détenteur sa vérité de singularité.

2. L’avantage de la singularité

Le sourire de l'insaisissable
Lorsqu’on entre dans une assemblée régie par une norme, celui qui à l’évidence ou en fin de compte ne la respecte pas est soit le dernier, soit le premier. Une figure du véritable pouvoir est de transgresser les règles qu’on a fait reconnaître à la communauté (chasteté mystique parmi ceux qui sont invités à faire famille, tenue de vieux radin parmi les riches qu’on a fabriqué, blouson de cuir du PDG au milieu des costards, etc). Plus encore, celui qui se sait dépositaire d’une telle différence ou transgression y puise grande force. Pour son interlocuteur il est toujours insaisissable : sa force constitutive dans le conflit, la négociation, tient de ce qu’il se sait parfaitement inaccessible par l’autre. Il n’y a pas de meilleur commissaire qu’ancien voyou, pas de plus grand saint qu’ancien pêcheur (en chaire à midi, en tentation de 5 à 7, en flagellations ferventes à minuit). Pour un Cahuzac, l’honnête homme est un naïf qui ne connaît pas la réalité de la vie, le resquilleur avéré ou avouant quelqu’un qui a raté sa vie. Cahuzac, dans l’affrontement n’a jamais douté de lui car précisément il lui paraissait couvrir tout le champ des possibles, jamais là où on aurait pu le fixer : intellectuel mais boxeur, financier et politique, riche et de gauche, médecin et député, imposant la règle budgétaire mais s’en foutant éperdument. Un type très fort donc. Qu’on se rappelle la délectation des négociations budgétaires avec tous les ministres du gouvernement ou, rendez-vous étrange, sa longue confrontation avec Mélenchon. Le sourire et le punch de Cahuzac face à un Mélenchon surjouant l’outrage mais ne pouvant percer le cuir de son adversaire. Pour le coach, la compréhension, le désossage de ce socle de confiance produit donc un enseignement sur la construction de soi : l’intégrité (Mendès-France), le passage par le devenir, le jeu des contraires (Mitterrand), le secret transgressif (Cahuzac, ou Strauss-Kahn pour rester socialiste... une autre fois nous évoquerons en politique la jouissance réaliste lepénienne ou la dynamique de l’origine du Nom chez Sarkozy ou Giscard).

3. Le manquement éthique
La morale, tout le monde connaît, dès l’enfance. On sait que c’est mal, bien, partageable ou non. N’importe quel voleur connaît la morale. L’éthique se gagne, se construit. Chacun y tient, à la mesure de son ambition. Il y a une éthique du truand, du braqueur, du séducteur, qui pour le dire vite, lui permet, à ses propres yeux de figurer dans la communauté qu’il s’est choisi. Vous avez basculé dans l’immoralité, vous pourriez aller plus loin et quelque chose pourtant vous retient. L’éthique est ce "non" qui vous coûte. C’est ce que je développe dans mes séminaires consacrés à l‘éthique, notamment en faisant apparaître les moments de décision alternative. Dans l’affaire Cahuzac, chacun s’indigne et juge l’ensemble alors que cela n’a jamais été un ensemble mais une durée. Lorsqu’en séminaire, je pose ce processus et débats avec les participants de la question du moment du "non", l’unanimité se disperse entre ceux qui "disent non" dès l’ouverture du compte, au moment du mandat public, puis à l’entrée au gouvernement, puis lorsque Médiapart soulève l’affaire, puis en face-à-face avec le Président, ou encore devant l’Assemblée Nationale (les représentants de la nation), devant la télévision, etc. Or le bonhomme Cahuzac qui n’est pas idiot et connaît toutes les ressources de l’intelligence devient soudain imbécile. Car lâcher son secret c’est perdre le sommeil, le sourire, la séduction et se dévoiler en Dorian Gray

4. Tout cela est bien sûr un peu « freudien » en ce sens que son vice de fabrication lui est vitalement nécessaire. Il lui répugne autant qu’il le nourrit. C’est pourquoi cette ambivalence produit de l’acte manqué. Comme dans tous les drames authentiques, celui qui ne devait pas savoir est celui qui apprend tout. Il semble que Cahuzac ait appelé « par erreur » son opposant historique pour évoquer, dans la suite d’une conversation avec un précédent interlocuteur, ce compte qui lui posait problème (« un compte en Suisse, c’est pas…). Et le moment qu’il choisit pour arrêter le double jeu, c’est justement dans le face-à-face avec la Loi, en précédant la convocation des juges.

5. Dernière remarque : les stars étaient ces personnages, illustres, inaccessibles qui au travers de la nuit, nous faisaient croire à la lumière. Aura inversement proportionnelle à la distance. Personne n’avait la bêtise de les penser parfaites moralement mais chacune dans leur genre les stars étaient iconiques, un éclat de perfection. Devenues people elles se sont rapprochées et le jeu que notre société institue avec elle est un jeu de massacre émissaire. A peine élu people (financièrement, médiatiquement, électoralement, etc.) le travail constant est de limer, de dévoiler, d’en traquer la bassesse. Le « Tous pourris » est un cancer contagieux, qui contamine jusqu’à ceux qui le profèrent. N’attendons pas des élites qu’elles soient absolument irréprochables, depuis l’origine, contentons-nous qu’elles soient, dans l’exercice de leurs fonctions, heureusement contrôlables.

22 mars 2013

Trophées 2013 ETP au féminin* Quatre managers d’exception

La construction des femmes ingénieurs du BTP
« On ne naît pas femme, on le devient ».
Si la belle formule de Simone de Beauvoir éclaire les destins féminins, les Trophées ETP décernés le 19 mars 2013  manifestent qu’à ce devenir concourent de multiples ressources. En effet «on » ne devient pas femme seule mais dans l’alliance, le soutien, le travail. Ce devenir,  pour ces ingénieures, s’est littéralement construit : par elles-mêmes, par des formations, notamment l’ESTP, par une société française qui depuis deux siècles peu à peu tente d’élaborer une mixité fructueuse, par des familles et proches attentifs et enfin par des entreprises qui à la fois par humanisme et par efficience y trouvent bénéfice.
Chacune des lauréates, à sa manière, a témoigné de cette « construction », avec une émotion partagée avec le public et le jury (dont j'ai eu l'honneur de faire partie, composé de 7 femmes et de 4 hommes car ces parcours signalent d’abord une mixité performante) a eu grand plaisir à découvrir tant de parcours talentueux.

4 lauréates parmi 12 nominées et 52 candidates
Grande entreprise : Maly-Ann Bory de CH2M Hill, responsable en Asie de déménagement de grandes infrastructures et équipements
Un parcours international spectaculaire, un prix reçu ce jour-là par sa mère qui a tenu avec émotion à remercier " tous les professeurs que sa fille a eu depuis la maternelle, jusqu’à l’ESTP "

PME/ETI : Marie-Christine Salmon d’Entrepose (groupe Vinci)
Responsable de projets d’envergure, dans des environnements exposés, avec une adaptabilité à de multiples cultures.

Coup de cœur : Karen Honore, co-gérante de Kreabat 
Entreprenante, avec la volonté de développer une structure humaine et écologiquement respectueuse,

Avec un prix spécial du jury, parmi toutes les brillantes nominées, pour Martine Bourdon, du groupe Colas, saluant son engagement et la qualité de son parcours.

Trophée ETP au Féminin


Un management d’accomplissement ?
Si ces quatre lauréates poussent loin leurs talents, elles partagent avec la plupart des candidates plusieurs points communs qui témoignent d’une réorientation positive du management contemporain. L’expérience très dense, l’ampleur des responsabilités et des réalisations sont pour les nominées des impératifs nécessaires et spectaculaires mais s’y ajoutent des traits de profil significatifs : pas de toute puissance personnelle : humilité, sens du travail, loyauté, une posture managériale plus collaborative que charismatique
Une recherche de la réussite d’équipe, une attention à la transmission de son patrimoine technique vers les jeunes, d’autres femmes, à l’insertion sociale par le travail
Une recherche d’équilibre entre vie personnelle (associatif, familial, engagement, etc) et vie professionnelle
La notion de bien-être, une attention portée à soi, arrachée aux contraintes de la charge de travail.
Du coup, à l’opposé des valeurs de réussite individuelle (qui se signalerait en résumé par une belle montre), ces lauréates manifestent plutôt une dimension d’accomplissement : ce qu’elles réalisent, c’est leur vie et le déploiement professionnel y occupe une place centrale mais non exclusive.
Toute sélection est un choix qui exprime les critères d’un jury et d’une époque. Gageons que d’autres candidates auraient été choisies il y a 15 ans. Ces trophées 2013 correspondent parfaitement à la vision managériale à laquelle nous oeuvrons, en entreprise mais aussi dans nos enseignements de communication managériale à l’ESTP.
En un mot, ces lauréates indiquent la voie de ce que doit être aujourd’hui, pour les hommes comme pour les femmes, un management « durable », efficient et porteur d’avantage concurrentiel pour les organisations qui savent le faire vivre.

*Le prix a été créé à l’initiative de Nathalie Mousselon, talentueuse présidente d’ETP au féminin et ingénieur chez PSA, organisé impeccablement par la junior ETP et soutenu notamment par les entreprises  Vinci Construction,  Eiffage, Bouygues construction et Spie Batignolles.

26 février 2013

Drôles d’oiseaux

L’une de nos missions d’accompagnement d'étude et stratégie a concerné L’Adapt qui développe de multiples actions auprès des personnes en situation de handicap. La spécificité de l’association est de maintenir l’initiative de la personne et des familles, tant en termes de soin et d’autonomie que dans l’exercice d’une profession ou d’une passion. Ici le théâtre de création nous indique la voie d’une place authentiquement inédite.
Les oiseaux est une pièce d’Aristophane qui raconte le périple, la tentative de quelques humains pour créer une ville nouvelle où se rejouerait une nouvelle humanisation, une cité délivrée des contraintes du politique, du droit mais aussi de la révérence cultuelle.
Pas d’autre place finalement que dans l’aérien, entre l’éther des Olympiens et la terre des humains civilisés. Un lieu qui accueillerait un chatoiement et une insouciance identiques à ceux des oiseaux. Ces pionniers rencontrent donc des oiseaux, se donnent des ailes et les voilà là-haut, tentant de réinventer le vivre-ensemble, à se cogner aux frontières de leur être.
L’idée radicale et parfaite de Madeleine Louarn tient à l’incarnation sur scène qui est faite de ce périple par une troupe d’acteurs qui partagent la condition du handicap mental (le CAT bien nommé Catalyse).
Les oiseaux, les humains, les dieux apparaissent au travers d’acteurs qui dans la vie ...

7 janvier 2013

Rester contemporain de la guerre de 14

Une exposition de Patrice Alexandre au Musée royal de l'Armée et d'Histoire militaire de Bruxelles

Alors que s’approche le centenaire de la guerre de 14, et avec celui-ci l’éloignement de sa mémoire vécue, la conjugaison d’une proposition esthétique et d’un patrimoine muséal nous la rendent contemporaine.
La Grande Guerre a déchiré la terre d’Europe, plus grande que les nations, plus dure que la terre, plus grande que les hommes. Tués, anéantis, par millions, soldats et civils. Villages rasés, terre stérilisée, génération affolée. Cette guerre invente l’industrie de mort : on s’y détruit avec méthode scientifique et en progrès rapide : augmentation des calibres jusqu'à accoucher de la grosse Bertha (42 cm), blindage et invincibilité des chars-machines de mort, aviation qui commence en  lançant gracieusement des papiers, des cailloux et finit avec la mitrailleuse, et enfin les gaz que le vent dépose sur l’ennemi.

Le soldat était un homme, parti joyeusement au front, entre hommes.. Ca n’allait pas durer, on larguait le quotidien et on avait de jolis uniformes seyants. Ceux qui ne s’y trompent pas : la garde civile belge, rutilante dans ses uniformes de parade bourgeoise et qui se dissout la veille de la déclaration de guerre quand ça ne rigole plus du tout.Les hommes deviennent rapidement hébétés, anéantis par la boucherie : c’est la machine, le progrès qui leur tombe dessus, sans mesure avec la baïonnette du vieux corps-à-corps. Les corps sont écrasés, bouffés de vermine, enkystés dans la boue, au stade du rat, fidèle compagnon des tranchées. Les mutilations sont épouvantables, faces arrachées, membres broyés, bricolées par une chirurgie de guerre qui progresse également au pas de charge.

Comment garder mémoire de cet anéantissement ? A l’intimité horrifiée des lectures de Giono, Barbusse ou Céline, on ajoute institutionnellement l’édification de monuments aux morts. Pas à la guerre, pas à la victoire, pas à la nation mais aux morts que chaque village a connus.
Le monument aux morts, dans chacune de ses étapes, est une mise en scène de la société, qui se résoud en lentes négociations...:
- choix d’un emplacement, central, passant, adossé à église ou non, champ de foire...
- appel aux dons : vous avez donné un être cher, donnez de l’argent pour qu’on ne l’oublie pas, - choix d’une scénographie, horizontale qui sollicite le spectateur, ou verticale qui allégorise la démesure, en arc-de-cercle, en muraille, en évocation de tranchée, etc.
- choix du sujet : le soldat, la nation sauvée, la veuve éplorée, au combat ou en souffrance,


Ces monuments sont de fait les œuvres d’art les plus répandues en France, en Belgique, en Europe. Leur sujet commun est celui de la mémoire des morts et des conditions de leur disparition. La plupart du temps, leur réalisation concrète commence par du modelage, comme un retour de la terre informe vers ceux qu’elle a brisés. Le choix du matériau, de la composition, du sujet sont à chaque fois débattus, négociés avec l’autorité militaire, les anciens combattants, les représentants institutionnels. Le monument est la parole circonstanciée des vivants sur les morts, sur leurs morts puisqu’elle les convoque, les liste, les allégorise dans la représentation métaphorique.
Ce que montre - et prolonge également par sa propre œuvre - Patrice Alexandre est que le motif proposé diffère suivant que le sculpteur a « fait » la guerre ou non. Ceux que la guerre "a fait" sont du côté de l’homme, sa souffrance, son anéantissement dans la boue, sa peur et sa fraternité de combat. Souvent, lorsque le sculpteur n’a pas combattu, l’allégorie, la mise à ..