4 novembre 2025

Le film Bugonia, une actualité de la rhétorique

 
 

Qui suis-je ? Où vais-je ?

Toujours ces films uniques de Yorgos Lanthimos. 
Deux branquignols enlèvent et séquestrent la Présidente d'une grande compagnie industrielle, la soupçonnant d'être une extra-terrestre.
Outre le télescopage des discours tels qu'ils apparaissent dans leur extrême délire aux Etats Unis (par quelle prouesse des cinéastes démiurges parviennent-ils encore à arracher des millions de dollars à des studios pour dénoncer, documenter la faillite civilisationnelle en cours là-bas, Bugonia ce jour, One battle after an other l'autre jour ?), deux remarques sur ce beau film de rhétorique (quand tous les combats sont épuisés, il ne reste plus que la parole comme arme ou relation).
Il n'est en effet question dans cet enlèvement ni de sexe, ni d'argent mais de dialectique rhétorique. Comment convaincre l'autre, par quels compromis, acquiescements, reconnaissances avec comme risque de décrochage le déchainement de violence.  

Le gamin sur son petit vélo a grandi

Le promoteur de l'enlèvement, persuadé que le personnage d'Emma Stone est un alien issu d'Andromède roule à fond sur son petit vélo, entre bicoque déglinguée et entrepôt de colisage. Ces courses plus ou moins longues ou déchainées me paraissent issues tout droit du petit vélo du gamin qui dans l' E.T. De Spielberg, échappait aux poursuivants avec son petit VTT. Il a continué à pédaler et le voici arrivé tout droit, vieilli, complotiste, déglingué dans une Amérique bien plus désenchantée.

 Ces patrons déments venus d'ailleurs

L'autre remarque c'est ce personnage de  Présidente de Company. Elle est parfaite d'arrogance, de beauté, de jeunesse inaltérable, de contrôle et Lanthimos prend au mot ces dirigeants dingos des Gafa qui rêvent de nouveaux mondes et de nouvelle humanité. Ce sont bien littéralement des extra-terrestres.

Casanova s'expose à Venise - Fondation Cini

 L'anniversaire d'une évasion

Donc ce 31 octobre dans la nuit, nous étions devant cette porte par laquelle Casanova, le lettré très vénitien s'est enfui de la prison des Plombs, cette prison bien nommée qui surplombe le Palais des Doges. Dans la nuit du 31 octobre au 1er Novembre 1756.

Au petit matin le fugitif Casanova traverse cette place, essayant de ne pas trop courir, jusqu'à la première gondole

Toute une nuit à finir de desceller les pierres de sa cellule, grimper acrobatiquement sur les toits de zinc avec son nécessaire et encombrant compagnon de cellule le prêtre Balbi, descendre avec des draps noués, récupérer une échelle, errer dans les vestibules labyrinthiques du Palais et en sortir au petit matin, opportunément revêtu de l'habit à jabot de dentelle avec lequel il avait été enfermé quinze mois auparavant sans connaître ni le motif ni la date d'un jugement à venir. Invectiver le gardien de la grande porte du palais en prétendant y avoir été enfermé par erreur toute la nuit. Courir jusqu'à la rive la plus proche, sauter dans une gondole et s'y effondrer en larmes devant le gondolier « comme un enfant qu'on dépose à l'école »
S'ensuivent des années (18 ans avant de remettre un pied à Venise)  de vagabondage libertin libéral  sur le Théâtre européen de sa vie, dont il est l'acteur, le metteur en scène, l'auteur et même le public.
Traversant l'époque, ses tumultes aristocratiques, ses philosophies, ses jeux et ses séductions, côtoyant franches canailles, prostituées, honnêtes marchands, seigneurs de guerre, princes de haut lignage, armé de sa seule parole, sa conversation. Un homme d'esprit qui rêve qu'on l'écoute. Sa fuite de la Prison sera l'une de ses seules publications fameuses publiées de son vivant, avec quelques considérations philosophiques et libelles. Ce récit d'évasion lui ouvrira de nombreuses portes et dans toutes les assemblées il se plaira à en raconter l'exploit et ce que cela exprime du pouvoir du fameux Conseil des 10   sur la société vénitienne.
Plus de deux siècles plus tard, cet aventurier du XVIII eme siècle ne dispose toujours pas, à Venise ou ailleurs, d'une rue, d'une place ou même d'une impasse qui porterait son nom alors que c'est par ses écrits, son « Histoire de ma vie »  que le XVIII eme siècle vénitien et européen se donne à voir. 
Ses cérémonies, ses fêtes, ses aventures libertines et politiques, la manière dont on gagne l'argent, comment on le dépense, les chemins de la ruine, de la gloire, des armes et du sexe, tout s'y entrelace dans la belle langue française du XVIIIeme.
Subsistent de cette époque, des architectures, des rues, des canaux, des tableaux que l'on se plait à reconnaître dans cette Histoire de ma vie, rédigée non pas en captivité comme l'autre fameux vénitien Marco Polo mais reclus comme bibliothéquaire du chateau de Dux en Bohème chez un vague cousin Waldheim du prince de Ligne, ami protecteur de Giacomo.    
Sept ans au soir de sa vie à reprendre le fil de sa vie, avec ses désastres, ses hauts faits, ses rencontres et se surprendre « à en jouir une seconde fois en les écrivant ».
 

Deux expositions pour l'évoquer, sur le mode de Stefan Zweig  racontant "le monde d'avant"

Deux expositions discrètes (aucune information ou publicité sur les canaux officiels de la communication vénitienne, juste quelques affiches au coin de certaines  rues) honorent cette mémoire ces jours-ci à Venise.


Les deux sous l'égide de la Fondation Cini. La première, Casanova et l'Europe, est très attentive à illustrer ce mouvement incessant à travers l'Europe, malheureusement en un italien rapide non sous-titré (alors que le récit a été écrit en français !), en animant grace à l'IA les documents d'époque. On y voit grimacer le visage de Voltaire, voguer les navires, s'animer les  places v


     

énitiennes et les avenues de Saint Petersbourg. Surtout c'est mis en scène par le décorateur du Théâtre de la Fenice  qui s'est attaché à scénographier ce labyrinthe des passions et aventures en respectant amicalement le destin du bad boy vénitien.
L'autre est plus convenue, Casanova et Venise, se contente de rassembler quelques œuvres, souvent  vues ailleurs et qui témoignent non pas de Casanova mais du Venise que connaissait Casanova à l'époque. Rajoutons y quelque joli portrait de Watteau peint par Rosalba Carriera, peintre vénitienne voyageuse de même époque et l'expo est vite vue. 
Si Sollers était encore vénitien, il organiserait la grande exposition Casanova qui manque encore à Venise.

 

Casanova e Venezia, Galerie du palazzo Cini, Dordosuro, Venezia
Casanova e l'Europa, opera in piu atti
Fondation Cini
Isola de San Giorgo Maggiore
Jusqu'au 2 mars 2026 

 



21 octobre 2025

La République de Weimar c’etait pas si mal. Un peu de compassion lucide

 


Une astrologie française

?

Il se dessine par ici une curieuse conjonction dont on aimerait qu’elle ne soit pas fatale. Les médias et la justice jugent avec une exemplarité de principes qui aurait réjoui Saint Just. 
Le Président se dissout dans l’exécration générale. L’évaluation financière du pays est stigmatisée par les agences de notation. Et par dessus ça notre fleuron national, le Louvre, ultime refuge du Sacré (le Beau commun) est ridiculement violé par de malins petits Lupin, le ministre de l’Intérieur ajoutant à la honte en qualifiant publiquement le vol de « braquage » comme s’il s’agissait d’un film ou que les voleurs gagnaient déjà à ce qu’on parle comme eux alors même qu'il ne s'agissait d'ailleurs pas d'une attaque à main armée. 
Et l’ancien Président est incarcéré à la Santé après qu’on lui ait retiré la Légion d’honneur pour une conversation téléphonique ? En nous disant qu’il ne veut pas « de notre compassion mais de notre indignation ». 
Légion d'honneur contestée comme Ardisson, notre plus brillant interviewer de télé publique humaniste, dont heureusement les archives de l’INA gardent témoignage qui s’était vu lui aussi dénoncé au moment de l’attribution de sa Légion d’honneur. 
 Mais qu’est ce qui se passe ici, si on regarde ça d’un autre pays , européen, américain ou russe ? Une République de Weimar qui se naufrage dans le ricanement ? 
 
Reprenons : Macron dont le positionnement sur les affaires du monde et la parole de la France est de haute tenue (qu’on imagine Hollande, Melenchon, le Pen ou Bardella se prononcer et agir sur la Russie, Zelensky , la Chine, la Palestine ou Trump - Macron président de l’Europe !) se fourvoie dans un jeu de nominations politiques post-dissolution qui lui met tout le monde à dos. Avec une Brigitte Macron, exemplaire femme française qui devient peu à peu la cible fantasmatique des torchons et des rumeurs comme une Marie Antoinette d’après la chute. 
 

Humbles propositions 

J’oserais quelques remarques : au lieu de se réjouir d’abattre toute figure ou institution qui dépasse la moyenne publique, reconnaissons les services rendus (la Présidence tenue) le mérite de la gloire (Depardieu même si génie imbécile et Anouk Grinbert qui sait dire les tourments et les tournants de l’âme). 
Macron , de nominations en détestations aurait dû nommer un ou une socialiste (Faure, Delgado ?) en responsabilité (ou même l’honnête Roussel) et que ce soit le Parlement des extrêmes qui éventuellement les fasse tomber plutôt que de frustrer le bon peuple de cette reconnaissance d’une opposition responsable. 
Nous avons un des pires patronats qui soit , avec un Medef qui hurle toujours à l’agonie au lieu de gérer les affaires paritaires en dialogue et de ne faire d'autres propositions que l'exonération de charges . Et oui, on doit prendre de l’argent aux patrimoines décuplés pendant la dernière décennie tandis que les classes moyennes sont écrasées d’amendes routières, de règlements (plus le droit de faire du feu dans son jardin ?) et d’injonctions au politiquement correct. 
 
Je te joue une chanson ? 

On doit matraquer financièrement Guéant et Hortefeux qui ont dissimulé, magouillé, touché l’argent sale et se foutent du monde (« j’ai revendu un petit tableau.. ») et ne pas déchoir à incarcérer un ancien Président qui a fait de son mieux pendant ses fonctions de chef d’Etat. Carla Bruni se solidarise à la française, comme une Olympe de Gouges, en décalottant la bonnette des tourmenteurs de son mari ou en lui chantant une chanson de cœur , Let it be. Que cela soit, si ça doit être. Dans l’honneur, la lucidité… et la compassion. 
Weimar c’était pas si mal, vu d’après.

13 octobre 2025

Un simple accident.. Quand il ne reste que l'essentiel

Quand on t’a tout pris , qu’on t’a ratiboisé, enfermé, ramené au degré zéro de l’exister, il ne reste que tes souvenirs et tes croyances les plus réelles. Le film de Jafar Panahi est un formidable drame moral qui parcourt la tragédie, le dérisoire et l’ironie de la vie. 

 

.. et tout se complique

Un type salopard est repéré par hasard et violenté par d’anciens prisonniers iraniens qui ne l'ont pas oublié. La vengeance s’impose mais le doute s’insinue sur cette identité. Panahi rassemble quelques infortunés, assemblés par hasard mais qui font peuple, celui qui demande des comptes à la barbarie d’un régime. Pour chacun d'entre eux, tout s'arrête immédiatement dans leur vie car il s agit de juger un homme, probablement leur salopard. 

Cinématographiquement c’est construit avec la logique implacable d’un Hitchcock mais avec la présence populaire de toute la société Iranienne , à la manière d’un Iosselani ou d'un Kiariostami. La vie s’insinue par tous les côtés , le hors champ, le vacarme des rues et des rencontres de la rue. 

Révolution culturelle ou révolution islamique, ou capitaliste, pour qui a un cœur intelligent, la vie toujours continue. Le prodigieux c’est que ce film cherche et trouve la vérité. Elle est sa seule arme, sa seule croyance et que Pahanj s’en fait l’évangéliste , sans fard ni métaphores. Une expérience de philosophie morale qui débouche sur un constat d’humanité politique. 

Et le réalisateur, après avoir dit toute sa vérité , tirée du puits de l enfermement et des voix de ses compagnons de captivité, est retourné en Iran. 

Saint Navalny, protégez le ..

25 septembre 2025

Reconnaissance de l’État de Palestine, l'humanisme à la croisée des temps

 

Reconnaissance de l’État de Palestine, l'humanisme à la croisée des temps

Donc c'est fait, Emmanuel Macron, après avoir prévenu, averti et écouté les uns et les autres a franchi le pas : reconnaissance de l’État de Palestine.

Rien à ajouter à ce discours, tout y est : le moment historique comme issue à l'affrontement entre peuples voisins, les conditions (libération des otages, démantèlement du Hamas) pour concrétiser l'effectivité de la reconnaissance, la solidarité avec l’Israël atteint dans son être le 7 octobre.

Avec sa jolie houppette et un début qui sonnait comme un prêche, le lancement du discours a été très convenu mais peu à peu une affirmation réelle s'est faite entendre avec ses appels aux temps de la paix. Un discours humaniste, à la mesure d'un Jaurès, d'un Vaclav Havel, d'un Unamuno désavouant le fascisme franquiste. Cela devait être dit , à ce moment de l'énormité des désastres de la guerre et ce président, qui est reparti à pied dans les rues de New-York pour cause de cortège Trumpien le bloquant a dit tout ce qu'il fallait dire : la place des français juifs, l'alliance avec Israël, l'antisémitisme, les souffrances palestiniennes, la barbarie du Hamas, etc

Macron téléphonant à Trump depuis les rues bloquées de New-York


L'antisémitisme n'est jamais infondé : il se saisit de toutes formes, en chaque crise

L'antisémitisme est une maladie de l'esprit bien commode qui prend chaque fois sa logique dans des raisons « indiscutables ». Personne ne hait les juifs sans motif ni raison : « ce sont eux qui ont commencé ».

Soit parce qu'ils sont trop misérables, soit parce qu'ils sont trop riches, soit parce qu'ils sont bolcheviques, soit parce qu'ils sont capitalistes, trop artistes, trop médecins, trop écrivains, trop arriérés dans leurs superstitions, trop sionistes, trop internationalistes, trop présents en Israël, trop diasporétiques.. Une liste infinie des motifs chaque fois raisonnables de haïr, d'exclure, de boycotter les juifs perçus comme ceux qui résistent à l'unique du nationalisme, insistent sur le divers des appartenances, jouent en modernité des identités multiples et pour certains ressassent la même étude antique.


Free Palestine !

Elle l'était le 6 octobre. C'est librement que des unités du Hamas ont franchi la frontière et tué, massacré, violé tout ce qu'ils pouvaient des juifs. Un pogrom en terre d’Israël. Conçu, élaboré, documenté , avec retour victorieux en territoire palestinien et abject maintien des otages.

S'en est suivi une guerre, d'abord justifiée dans sa vengeance et ses objectifs militaires mais peu à peu s'étendant au peuple palestinien tout entier, en tant que palestinien. Ce n'est plus une guerre mais un massacre et une annihilation, avec des projets parfois obscènes de déportation ou d'épuration ethnique.


L'Humanisme comme petite chance

A ce stade de monstruosité cela devait être dit. Mais Jaurès a été assassiné, comme Yitzhak Rabin, Vaclav Havel n'a pu empêcher la dislocation de son pays, ni Zweig le saccage inexorable de son Monde d'hier, ni saint Navalny l'avènement du quatrième Reich.. La posture chrétienne envers les hommes de bonne volonté, l'humanisme éclairé par la raison et le dialogue restent-ils contemporains de la brutalisation actuelle du monde ?

Qui d'autre que les Israéliens pour aller chercher le Hamas ou le Hezbollah dans "leurs chiottes" ou dans leurs villas de luxe, sur le terrain ? Quelle ONU pour les désarmer (celle de Sarajevo ? Celle du Rwanda ? ..)  ? Le Fatah palestinien s'est fait dézinguer à Gaza par le Hamas..

La force brutale est aujourd'hui si opérante, en Ukraine, au Soudan, au Tibet, à Gaza, au Kurdistan qu'elle est une tentation évidente de résolution (apparente) des conflits. Il faut aller au bout d'une guerre pour en finir par la paix.

Donc il fallait que ce soit dit et acté ainsi dans l'enceinte des Nations Unies, avant que les Etats-Désunis, la Chine impériale reconstituée, l'Empire Stalino-tsariste et leurs disciples désinhibés ne fasse entrer le monde dans un nouvel âge obscur.

Quel système l'emportera ? Peu de chances pour l'humanisme et c'est justement pour cela qu'il fallait dire le moment.. En tant que petit-fils d'un ministre espagnol républicain , je crains que ce soit le système brutaliste qui l'emporte mais mon abuelo n'a pourtant jamais regretté ni abdiqué de ses choix et engagements.. L'honneur sauf..