24 avril 2025

Bennett Miller, ses fascinantes hallucinations encyclopédiques

 

Le nouveau monde dont nous sommes déportés

L’IA submerge ce que nous savions du monde. Elle nous rend étrangers au monde qui s’annonce, fait de duplications vertigineuses , de faux semblants, de rumeurs et d’amoncellements des savoirs connus et inconnus. Nous ne sommes pas nés pour ce monde, nous étions nés pour l’électricité, le téléphone et l’information planétaire et nous voilà co-existants avec des avatars d’avatars qui dupliquent le monde en chatoiements réverbérants.
Mais "pourquoi pas ?" puisque c’est là, produit par nos intelligences, jusqu’à ce que l’artificiel se duplique lui-même.
J’imaginais la rupture anthropologique par la génétique et la mise au monde artificielle et voilà qu’elle nous vient par cette duplicité nouvelle et séduisante.

 

Artistes rêveurs

Heureusement, avant la guerre, avant la pub, avant l'organisation efficiente du monde , quelques artistes rêvent avec l’Ia.

Laurent Briard est l'un de ceux-ci, présenté dans une chronique précédente et voici que Benett Miller , tout droit sorti du cinéma (Capote, Foxcatcher,..) nous propose ses images issues de ses conversations avec Dell-e (prononcer Dali). Lui écrit et Dali propose ses hallucinations et tourments.

C’est noir et c’est blanc et ça charrie l’histoire de la photographie puisque c’est issu des encyclopédiques datas  d’images.

Des sœurs de Sarah Bernhard peintes par Nadar s’y perdent dans des volutes de cigarillos. Tirages argentiques aussi matériellement authentiques ou véridiques, que les tendances photographiques du victorialisme anglais.

 
J'ai tout vu, tout connu -Paris, gloire et déchéance mêlées- et il m'en reste le plaisir d'un cigarillo ?


Volutes de l'étrangeté 

Souvent l’étrangeté provient d’une allure d’anciens enfants (morts depuis longtemps), c’est à dire d’êtres porteurs d’avenir au passé, saisis ou plutôt surpris dans l’immédiateté d’un accident : un coup de vent, la frayeur d’un monstre de foire, la chute d’un plongeon , etc. La puissance énigmatique du rêve, indescriptible, surgi par l’incident d’une mémoire, telle une association psychanalytique ramenée par la parole ou par l’image nocturne. 

Une enfant, immigrée, promesse d'actrice américaine, chevelure balayée par une brise soudaine ?

 

L’exposition est belle, avec son élégant portier humain de chez Gagosian. Tirages argentiques magnifiquement authentiques dans leur matérialité indéniable. Pas de titre (tous des "untitled" numérotés, c'est pourquoi je m'autorise quelques légendes (?)), pas de signature (ni humain, ni IA, ni fonds catalogué) pas de poinçon, à peine quelques prix confortables sur un catalogue réservé. Dans la foulée, une charmante conversation avec Benett Miller dans l'amphithéâtre d'honneur des Beaux-Arts. Pas homme de théories mais très honnête, humble et orgueilleux irréductible artisan d'images. 

Exposition : galerie Gagosian, rue de Ponthieu, Paris 8


Les nouveaux aspirants maîtres politiques

Le monde issu de la catastrophe de la deuxième guerre mondiale s’évanouit avec ses derniers protagonistes. Un nouvel élan s'annonce donc qui exploite  ce vide, avec prétention de nouveaux maîtres. Dans l’accouchement de ce nouveau monde, les rêves de pouvoir sont nombreux. 

 

Le Ialta des nouveaux maîtres, Joueurs de cartes DR Jeff Bailey

Avec donc ses aspirants :

Maître du monde

Donald Trump râle comme un Donald et trompette tant qu’il peut pour se présenter en Maître du Monde. Ça ne marchera pas car il est fondamentalement stupide et s’entoure de stupides. Il amènera les États Unis à la désunion et à la violence si ce n’est à la guerre civile. Les États Unis prennent la voie d’une ruine messianique et ils ont voté pour ça. Ils conchient le rêve messianique d’une Amérique accueillante aux immigrants, chacun parlant l’américain avec son accent, d’une Amérique où ta croyance, même communiste, serait respectée, où le capital naîtrait en partie du vol mais aussi du travail, où le droit irréductible d’affirmer son opinion a voix haute serait quotidiennement exercé. Avec un cinéma soft power d'usine à rêves et de remodélisations idéologiques. Tout ceci a volé en éclat, se fige dans une glaciation maccarthyste  et s’avance vers une ruine qui touche à l’utopie constitutive des USA et dilapide autant le capital symbolique que le tangible économique. Délits d'initiés, trahison des élites et des alliés, ridiculisation de l'histoire américaine, ignorance des stratégies guerrières, ambiguités sexuelles, fascisme rétrograde, la liste est longue des atteintes et elle débute à peine..
« On pèche par où l'on prêche » et ce Trump rapetissera le rêve américain autant que le dollar.

Maître du Temps

XI Jinping est le maître du temps. Héritier confucéen, maître d'une territorialisation de joueur de go par les routes de la soie, paisiblement tyrannique, prédateur courtois, il joue à l’échelle du temps long, pas celui de la téléréalité de prime time mais celui des lents renversements constrictors. Hong Kong a été avalé, le Tibet aussi, sauf spirituellement car il n’y a plus de spiritualité en Chine. Il reste Taïwan et les ressources de tout le Tiers monde. À nous français il nous cantonnera s'il le peut, à vendre du camembert et des parfums.
L’empire se déploie mais c’est par l’intérieur qu’il pourrira : car personne là-bas n’y croit et ne  s’y projette dans un temps radieux. Crise démographique, abandon du culte des anciens, matérialisme à tous les étages du pouvoir , la tradition n’existe plus que chez les miséreux à qui il ne reste que ces miettes essentielles pour passer le temps et se remettre de la sauvagerie capitaliste. Taïwan est à la fois très proche et très lointaine : son évidence géographique (la Crimée des Chinois même si les maoïstes n'y ont jamais pris pied) masque un éloignement des valeurs et traditions. Un mix de haute technologie, de considération pour la tradition chinoise et de démocratie occidentalisée qui pourrait bien résister à l'avalement par une Chine plus intimidante que réellement puissante.

Maître de la guerre

En Russie, Poutine se rêve en maître de la guerre , il connaît et bâtit une continuité guerrière avec tous les passés militaires de la sainte Russie. Et ça marche : les russes sont derrière lui et il n’y a eu que le martyr Saint Navalny pour y opposer un autre destin. Mais ça tombera car personne ne veut vivre sous la tyrannie russe et on (les roumains, les moldaves, les polonais, les lituaniens, etc)  se battra jusqu’au bout comme des ukrainiens ou des finlandais dont certains ont même été jusqu'à s'engager avec les SS pour se libérer des bolcheviques. Même les afghans ont réussi à chasser leur puissance de despote. Les Russes, sur leur tas de ruine, connaitront la dépoutinisation comme ils ont connu  la déstalinisation. Pour l'instant ils sont heureux de faire peur et d'oser tout face aux démocraties. Faire peur est le mode d'existence des russes aujourd'hui.

Maître des richesses

Là où jaillit le pétrole se tient la richesse d'un monde qui se déploie par l'énergie. Le pétrole est donc bénédiction pour ceux qui savent l'utiliser et malédiction pour ceux qui se contentent de le produire car l'opulence bloque leur développement. Cette corruption fondamentale alimente par rachat de mauvaise conscience les islamismes les plus dévoyés et enténêbrés..
Les norvégiens ont bien compris ce dilemme et ont placé leurs faramineux gains sur des réserves d'avenir.
La puissance financière  est actuellement au Moyen-Orient et ces fortunes inconcevables permettent de s'acheter ce qu'on veut, des plus hautes tours du monde jusqu'aux clubs de foot sans changer l'ordre social : le type devant en short , rayban et téléphone cellulaire, la femme voilée derrière, sans école ni permis de conduire ou possibilité de vivre par elle-même. Nous avons dépassé le peak oil et il est certain que la dernière goutte de pétrole sera américaine ou norvégienne (donc envahie par la Russie ou l'Amérique trumpienne)  


Maître de l'Europe

Macron se rêve en maître de L’Europe. Si l’Europe existe un jour, avec ses rituels démocratiques, spirituels, ses millions de bébés Erasmus , sa force nucléaire et son maintien humaniste alors il pourrait en être le bon patron et rêve à demi d'être consacré comme son démiurge visionnaire. Avec encore Brigitte à ses côtés en éternelle féminité européenne. Des siècles de Louise Labbé , de  Georges Sand, de Virginia Wolf et de Marguerite Duras pour fabriquer une telle femme.
Très peu nombreuses aujourd'hui sont les figures politiques qui prôneraient une sortie de l'euro ou un démembrement de l'Europe. L'Europe reste une idée neuve, une rêverie philosophique à concrétiser. La véritable Europe est-elle celle d'Orban ou celle de Macron ? On attend la réponse des peuples qui pour l'instant se régalent de voyager avec une seule monnaie, de faire des enfants bi-culturels et d'étendre le commerce à l'échelle d'un continent. Si ce rêve survit à la fin du monde d'après la seconde guerre mondiale dont il est issu, s'il s'enracine dans des humanités européennes assumées, des rituels démocratiques (voter le même jour ?, une déclaration de nationalité européenne, etc) et la capacité de se faire respecter par la spiritualité autant que par la force, alors nous maintiendrons un pôle d'avancée humaniste avec nécessité de leaders authentiques et visionnaires.
 

Sinon ?

Sinon ce sera un monde de chaos tout à fait passionnant. Se préparer à tout. Ne pas rater ça..