5 mai 2015

L’intelligence collective, ressource de l’innovation, mais comment ?

L’innovation est la nouvelle frontière : par quels processus garantir son avènement dans un groupe-projet ? 

L’expertise, les technologies, les outils de com sont des ingrédients nécessaires mais la ressource essentielle est humaine : le groupe porteur du projet dispose-t-il des attitudes, méthodologies qui facilitent le mouvement d’innovation ? Car, une fois l’expertise repérée, débute en effet le vrai travail, risqué, exigeant, plaisant et passionnant du dépassement par la mise en commun (ou de l’enlisement ou de l’affadissement quand ça ne prend pas collectivement).
Expérimentalement, dans le cadre de nos sessions de communication managériale, nous  explorons cliniquement les modalités et les alternatives d’un tel processus de communication en grand groupe et voici quelques éléments.

Comment ça marche : deux dispositifs parallèles.
90 participants constitue un groupe assez lourd et l’on convient généralement qu’en formation, des groupes de 8 à 12 sont plus appropriés. Pourtant, de tels groupes existent et interagissent fréquemment, dans des équipes de travail, des services, des promotions d’étudiants, des unités de production et il est donc intéressant de questionner le cheminement de leurs élaborations collectives.
Un grand groupe de 90 jeunes ingénieurs réfléchit ensemble à une question que notre équipe d’intervenants lui a posé,  autour du thème de l’innovation. Afin de garantir une participation de tous, des sous-groupes sont constitués qui vont débattre ensemble de la question posée. Une grande feuille de paperboard recueille les propositions de chaque groupe. Nous autres animateurs veillons à ce que les participants ne s’orientent  pas vers une dissertation abstraite mais bien vers des propos "à la première personne" s’appuyant sur leurs expériences vécues.

Au terme de ce premier cycle, chaque groupe va désigner 2 représentants, un pour une filière de l’écrit, l’autre pour une filière de l’oral. Ces représentants quittent la grande salle commune pour élaborer à l'écart un discours de synthèse respectant la filière écrite ou orale de leur mandat. Le groupe des orateurs va poursuivre ce débat tout en désignant de nouveaux représentants, ce qui aboutira à un orateur final, censé « incarner » la pointe pyramidale représentative du grand groupe.
Dans la filière de l’écrit, la lourdeur de la tâche (rédiger un texte commun) impose de créer 2 groupes parallèles qui vont produire un texte final (représentant donc la moitié du grand groupe).
Représenter : atouts ?
Dans le même temps, les groupes initiaux vont poursuivre leurs investigations mais dans une forme participative inspirée des world café : circulation entre groupes, hôte d’accueil à chaque table qui expose les travaux antérieurs et recueille les commentaires.
Deux nouvelles questions sont parallèlement  introduites et proposées à l’investigation de tous les participants, groupe initiaux et représentants.

Dépouillement en temps réel
A  chaque étape un sondage mesure les attentes sur le résultat et les ressentis individuels sur le processus des participants.
A l’issue du cycle de débat, nous recueillons les résultats des investigations.
C’est alors que les représentants viennent restituer leurs travaux.
La fin de séance est consacrée à la comparaison entre restitution orale et restitution écrite, entre production participative et délégation aux représentants ainsi qu'au "traçage" des contenus des discours restitués.

Les résultats

Au-delà de la performance de production d’une synthèse finale et d’investigations très participantes, ce dispositif alerte puissamment sur les enjeux de la communication managériale.
D’une part, les représentants sont spontanément applaudis et nous « déconstruisons » ensuite le mythe de la représentation homothétique : l’archéologie du contenu des discours montre qu’une bonne part provient de moments ultérieurs de réflexion (et non des groupes initiaux qui avaient désigné leurs représentants) et de convictions personnelles et que finalement ce qui est applaudi par les collègues devenus un public par le jeu de la représentation ne relève pas seulement de notions de fidélité, de respect du mandat (qui sont les attentes explicitées dans les « sondages ») mais d’un effet-miroir où le groupe se valorise au travers du résultat, d’un effet « champion » où le représentant final est supposé performer le processus et de phrases créatives et percutantes.
Parallèlement, la recension des matériaux participatifs et les mesures sur le ressenti du processus montrent que le plaisir de la parole y est bien plus fort que si l’on s’en tient à un processus de représentation. Lorsqu’on s’en tient à un dispositif de représentation, situations que nous avons bien documenté,  le groupe est passif, car il sent que ça se passe, que « ça vit » dans les groupes représentants et on assiste à une prise de pouvoir, ou du moins à une forte emprise des représentants, se retournant parfois dans une « mise à mort » finale des messagers.
Avec le maintien d’un processus collaboratif, la charge d’intérêt et de plaisir est forte. A chaque niveau de débat, l’authenticité et le plaisir sont massivement à 4 ou 5 sur une échelle de 5. Chacun a le sentiment d’avoir dit ce qu’il avait à dire et de s’être fait comprendre.
Le groupe sort donc renforcé de ce processus, bien plus que si l’on s’en tient à un dispositif de délégation-représentation.
En revanche, en termes de production, ce qui se recueille du grand groupe collaboratif est moins « saillant » et surtout la plupart des participants (jeunes élèves-ingénieurs pour notre récente session)  signale n’avoir pas évolué dans son point de vue.
A contrario, les représentants, lorsque l’accompagnement est dynamique et qu’ils sont aguerris, produisent des discours plus marquants, plus impactants et au terme des débats qu’ils ont traversé, signalent une évolution personnelle de leur point de vue. Ils ne peuvent plus simplement parler en leur nom et le fait qu’ils aient été ultimement désignés par leurs homologues s’appuie justement sur leur capacité à intégrer le discours de l’autre.

Choisir en pertinence plus qu’en idéologie 
Ces expériences cliniques (quand nous les débutons, nous ne savons pas ce qu’elles vont produire, la théorie s’y construit à partir de l’expérience) nous indiquent quelques comparaisons :
. Le mode participatif renforce le sentiment de groupe et draine une bonne quantité de matériaux. L’état des lieux est solide avec un tel processus. La pertinence du résultat repose sur le cadre méthodologique plus que sur le profil des participants.
. Le mode « représentatif »  hiérarchise et écarte certains éléments, il dépend fortement du profil personnel du représentant. Quand il est opérant, son impact est fort : le discours est saillant, les formulations plus tranchantes, les enjeux sont mis en perspective.
Ces modalités sont décisives et on devrait donc, sans innocence des enjeux de pouvoir (puissance de la parole, chefferie intrinsèque aux effets pyramidaux, contrebande des opinions personnelles, diffusion d’idées participatives sous le radar éthique de la parole publique) mettre en rapport ces dispositifs avec les objectifs précisément recherchés. Manager l’intelligence collective  aujourd'hui c’est savoir activer, en pertinence, ces différents registres.
Pour information, ce dispositif constitue l’ouverture sensibilisante de nos cycles de communication et les séances suivantes poursuivent ces thèmes en réalisant effectivement, collaborativement et concurrentiellement  des projets concrets.

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