20 mars 2024

 

D'un humaniste russe Christique au Dalaï-lama

Ainsi donc la Russie a donné un saint. Déjà il y avait eu Soljenitsyne, dissident métaphysicien qui avait prédit à son retour d'Amérique ce que deviendrait l’empire soviétique mais qui se présentait plus en ermite bougon qu'en saint martyr. Le corps glorieux est le dernier acte de la dédication.


La sainteté ultime rempart à l'empire

   Jusqu'à la fin, le coeur aimant

A présent voici Navalny le saint humaniste. L’Amoureux qui, à peine remis d’un empoisonnement , quitte sa femme adorée en choisissant la droiture morale au confort individualiste.

Mourir tête haute pour plus grand que soi. A l’âge des ambiguïtés , des renoncements, des accommodements c’est une leçon tout droit sortie de Dostoïevski. Une gueule de prince coquin , un entêtement affiché d’idiot auréolé.

C’est magnifique , c’est à pleurer car il n’y a pas eu de miracle , il a été lentement crucifié dans le froid sans penser jamais à se renier.

La vérité est totalement dévalorisée dans l’actuelle Russie. Ça rappelle Virgil Gheorghiu le pope poète prophétique qui énonçait que c’était simple avec le communisme soviéto-roumain car le vrai était tout simplement le contraire exact de la parole officielle.

Un Autre aspect à la fois christique et russe tient dans le rôle joué par la mère de Navalny. On lui dit qu’il est mort, elle part vers le nord.. On lui dit qu'on ne sait pas où est le cadavre, elle attend. On lui dit qu’il sera finalement enterré dans un village de la colonie pénitentiaire kafkaïenne arctique et elle dit non : je veux voir le corps et je veux le ramener près de la maison.

On peut facilement tuer le fils mais en Russie il reste encore difficile de tuer la mère. La babouchka que tout russe garde au cœur.

Et c’est donc la mère qui , par cette contemporaine déposition d’une crucifixion cruelle et démente , génère avec la femme , la veuve , le message d’honneur , de vérité et d’amour de l’homme. Il y aura un jour en Russie des places et des lycées Navalny tandis que les portraits de Poutine disparaîtront dans les caves comme les vieux insignes nazis que toute famille allemande ou autrichienne a abandonné dans l’ordure ou la cave.


Autre réussite de la puissance mais résilience tibétaine

La Chine est l’autre vraie grande réussite dictatoriale, celle d’un Parti qui a garanti travail, enrichissement et prestige mondial.

Là malédiction inaugurale en a été l’occupation et l’ethnocide du Tibet.

Parfaite réussite avec vol des ressources, destruction des monastères, emprisonnement d'un peuple, plus haut train d’altitude, déferlement Han et presque éradication des hautes spiritualités. Pourtant ça a résisté et le Dalaï-lama, par sa fuite miraculeuse de 1959 et l’établissement d’une diaspora culturelle a maintenu le flambeau, reconnu par son peuple et par le monde , de l’aspiration à la liberté , de la compassion comme voie, d'un spirituel plus radical que le matérialisme corrupteur.

 Washington veut empêcher Pékin de se mêler du choix du prochain dalaï lama

 Rire de l'instant

 

Mourir quelque part

A un certain moment de sa vie on est amené à installer la topologie de son décès : on ne veut pas mourir à Paris mais à Narbonne (mon père), pas à l’île de Ré ou Venise mais a Paris (Sollers) , pas à New-York mais à Moscou (Soljenitsyne) , pas à Paris mais à New-York (Woody Allen ?) , pas à Moscou mais à Châteauroux (Depardieu ?).

Il me semble qu’il est temps que le Dalaï-lama, après s’être heureusement échappé puis avoir diffusé le bouddhisme tibétain a l’échelle du monde, revienne à présent , dépouillé de ses rôles et auréolé de sainteté, au Tibet.

Maintenir la promesse de sa réincarnation puis engager le retour de son corps.

Savoir qu’il sera assigné, résidentialisé, assassiné de hasard, mais que sa flamme compassionnelle et son éveil diffuseront irrémédiablement dans la terre et le cœur tibétain.

Un long voyage retour à pied, avec prosternation des foules (j’y serai) et marche pieds nus des stars (Uma, Richard Gere…).

Passer la haute frontière à pied, marcher vers Lhassa, vers une prison ou un hôtel de luxe mais respirer à l’unisson de son peuple. Navalny l’a fait, en solitude parfaite, le Dalaï-lama sera accompagné et même quelques nationalistes chinois endurcis peuvent en être touchés par la grâce et renoncer à Taïwan comme au Tibet.

Le rêve est la réalité magique du monde.

15 janvier 2024

 

Comment perdre le peuple et que cela finisse en catastrophe

Deux ou trois choses qui fâchent.



Le peuple de Delacroix : Liberté, épopée, sensualité, parole

Trente ans que la gauche assure que le FN ou le RN ou l'ultradroite dit n’importe quoi et qu’il ne faut pas lui répondre.

Le problème depuis trente ans : le FN pose de vraies questions et propose de mauvaises réponses mais comme ils restent seuls à poser ces questions , le peuple finit par s’y reconnaitre.


Qu'est-ce que le peuple ?

Le peuple ce sont les gens que leur travail et leur généalogie rivent à la terre où ils sont nés. Pendant des générations le peuple s’établit, se reconnaît, se tient chaud. Puis la mondialisation survient , qui alimente et promeut et inspire et découle du capitalisme. Cette mondialisation a deux conséquences existentielles pour le peuple :

a. Son métier , son travail ne valent plus rien, ou valent trop cher en comparaison des coûts de la main d’œuvre des pays périphériques

b. Il arrive sur le territoire du peuple (c’est à dire des pauvres) des pauvres d’autres cultures, d’autres religions , issues du vieil empire colonial. Et quelques bonnes âmes respectueuses de la différence finissent par enlever les crèches d’un village à Nantes. Pourtant nous sommes en l'an 2024 , décompté à partir de la naissance du petit Jésus. Je ne suis pas croyant mais je fête Noël et je suis ravi (de la crèche..) de découvrir chaque fois cette attention à la fragilité du tout petit.

Donc insécurité matérielle doublée d’une insécurité culturelle. Depuis les élites des capitales on dit que ce n’est pas bien d’être raciste et c’est vrai que l’assignation d’un individu à autre chose que sa propre histoire est un déficit d’humanité mais on peut constater que si on ne peut pas courir en short au parc de Colombes sans se faire traiter de pute, si on ne peut pas se balader en kippa à Saint Denis ou traverser le quartier de la Monnaie à Roman sur Isère , ou faire un cours sur les provocations de la liberté d’expression ou du génocide juif c'est que certaines évidences historiques ou culturelles ne sont justement plus d'évidence quotidienne. C’est qu’il y a un problème avec la frange islamiste qui apparaît à partir d’une certaine densité de culture musulmane. Ou avec la frange délinquante qui au nom du respect et torturée par le ressentiment inflige le saccage du quotidien aux pauvres. Bruler les bagnoles, imposer la loi du fric du trafic, bruler tout le commun (bus, pompiers, crèches, maisons de la culture, Vélib, mais jamais un stade..)


Donc on fait quoi ?

Je ne sais pas ce qu’on fait

Mais je sais que détourner les yeux et surtout laisser la fachosphere se délecter à donner les détails que toute la gauche essaye de cacher est une erreur car les gens simples pensent que c’est BFM et Bolloré qui parlent vrai.

Il est tout de même renversant que Libération qui s’est créé sur le traitement d’un fait divers (le meurtre d’une jeune fille à Bruay en Artois) considérant que les faits divers racontaient l’état d’une société à l’époque ou ils restaient cantonnés à la presse populaire , qui a suivi les aventures de Mesrine , que ce journal ne soit pas capable de raconter ce qui s’est passé à Crépol et qu’il faille aller chercher l’info sur BFM.

Par contre Libération enquêtera et consacrera une double page sur l’origine de la divulgation des prénoms et des adresses et la dénonciation des rassemblements d’extrême-droite. Dupond-Moretti dit à l'Assemblée que cet événement n'avait rien "d'une razzia" mais Libération dénonce "une ratonnade" le jour de ces manifestations.

L'événement de départ : huit types laissent leurs femmes ou sœurs à la cuisine et se pointent dans un bal de village (où se trouvent des filles et des garçons) avec des couteaux et tuent et blessent les locaux. Pas d’émeute, pas de minute de silence, pas d’enquête journalistique de Libération alors qu'il suffirait juste d'aller écouter les jeunes qui ont vécu cette soirée. En dépit du courage de parler vrai de la maire de Romans sur Isère.

 

Que fait le peuple ?

C’est ainsi qu’on pousse le peuple vers le RN puisqu’il semble être le seul à nommer les choses.

Donc le peuple qui ne peut pas déménager, partir en vacances et voit comment la mondialisation bouffe son quotidien est tenté de renverser la table et de voter pour une vraie nouveauté : "on n’a jamais essayé le vrai changement, idiot, pas très propre, mais au moins enfin tout le monde va être secoué". Comme les Argentins, comme les Hongrois, les Autrichiens et peut-être bientôt les Espagnols le peuple , avec les moyens de la démocratie , pas par la violence urbaine , vote populiste. C’est une belle arnaque, comme Trump aux USA ou Milei en Argentine mais au moins « tout le monde sera dans la merde » : le peuple mais aussi ceux qui partent en vacances et se tiennent au chaud dans les beaux quartiers.

Angela Merkel, avec ses louables bonnes intentions à accueilli un million de réfugiés , musulmans pour la plus grande partie, parmi lesquels comme disait Lagerfeld « une bonne part d’antisémites ce qui n’était pas très opportun en Allemagne ».

Erdogan dit sans cesse que par la démographie les Turcs prendront l’Allemagne.

Le FPD est devenu la première force politique en Allemagne.

L'ironie paradoxale tient à ce que l'Europe aux prochaines élections va être dominée par des anti-européens populistes qui dénoncent depuis trente ans son humanisme, ses règlementations, son écologie, son pacifisme..


Parler du vrai monde

Il est vital de raconter le monde tel qu’il est.

Le RN développe posément son discours, porte cravate tandis que les mélenchonistes éructent, vocifèrent et bloquent. La loi immigration n'a pas été débattue parce qu'une motion de rejet stupide l'a renvoyée en commission et à présent on (par exemple les syndicats solidaires le 14 janvier) demandent son abrogation et « la régularisation de tous les étrangers ». A la fin, le peuple veut de l'ordre et des convictions donc c'est pour l'ordre et les idées simples qu'il finira par voter (tandis que la gauche s'arcboute sur un anti-macronisme délirant) si on ne parvient pas à poser le débat de l'identité nationale. Faite de littérature, de générosité humaniste et de conflictualité finalement apaisée par l'Ecole.

4 novembre 2023

C'est quoi le marketing, papa Renault Peugeot ?

 

Deux mois d’attente pour la livraison d’une voiture de 50000 euros chez Renault et j’ ai le choix entre seulement six couleurs ? 

Cette poulette échappe-t-elle au marketing ?


Cela me permet de proposer  ici la vision du marketing que j’enseigne à mes étudiants et promeus chez mes clients.


1. Le marketing tient le monde aujourd’hui : dans l’innombrable multitude confuse du monde, le marketing est cette attitude conversationnelle qui anticipe, accueille, manipule et permet l’identification de toute proposition de marque (industrielle, services, entreprise, recrutement, politique, humanitaire, personnalités ,.. )

En temps de paix démocratique bien sûr car la guerre est un tout autre monde.


2. Le marketing forge un concept pertinent puis les ingénieurs ingénient, les codeurs codent, les vendeurs vendent et les usines usinent.

Si tu t’ adresses à quelqu’un, quelque un, irréductiblement singulier et versatile, à moins qu’il ne passe devant ta petite boutique, il relève alors de l’anonyme et le marketing consistera à dessiner pour cet anonyme-là le marché des désirs, des illusions et des nécessités.


3. A part ta grand-mère qui t’offre des œufs issus de son poulailler, par des poules qu’elle a échangé contre des tomates, tout aujourd’hui comporte une part marketing, le politique comme l’humanitaire.

Donc la réalité nécessaire, industriels oublieux, telles que Paul Valery déjà L’énonçait c’est d’aller « chercher dans le cœur lisible du client » par la démesure de tous vos moyens financiers et productifs.

Certes j’attends deux mois en ces âges du zéro stock mais alors nous ne sommes plus aux temps de la Ford T :

  • Vous la voulez comment ? Quelle couleur ? D’accord mais elle sera noire.
    C’est la signature de l’Amérique démocratique, dans toutes les campagnes et villes et films muets. Le prix de son évidence massive c’est sa couleur. Elle est unique : noire.

    Or nous sommes désormais aux temps d’un monde d’archipels , peuplés d’individus rêvant de leur destin unique.


    4. La signification de tout ceci ? Je vous la livre pour pas un rond, comme Vinaver en son temps les identités de l’innommable (dans sa pièce chef d'oeuvre : Par-dessus bord) : les milliards investis dans vos lignes de production, vos brevets, les usines high-tech , les compagnons désespérés d’ennui ou passionnés par le challenge, tout cela sert -devrait servir- à ce que ma voiture soit aussi unique que moi : puisque je dois l’attendre vous devez me la fabriquer : elle me reconnaîtra par ses phares, m’ouvrira ses portes en me saluant d’un "bonjour Philippe" ou "bonjour Julien" selon mon avatar du jour et d'un "bonjour K. ou X." (suivant le romanesque décrypté par l’algorithme) et m’accueillera dans un siège à mes mensurations avec au moins 6 versions de formes).

    5. Et la couleur ? La couleur sera celle de la couleur des yeux de ma Darling ou d’un ciel de Tiepolo. C’est ça le marketing, pas besoin de faire HEC ou l’Insead pour cela. Des milliards pour un seul client. Cela vaut pour tous ce qui se propose anonymement à la vente




6 octobre 2023

Æsthetica

Ce qu'il faut de danger pour le sublime..

La ronde irrépressible , une belle photo d'Etienne Buraud  

Les heures sombres de la nuit. Vers trois heures ou cinq heures du matin dans les tréfonds du Web. Des heures tu passes à parcourir des Instagram de video réelles, des séquences de vie hallucinée à l’autre bout du monde, des jeux d'abruti et puis il y a aussi encore le porn et parfois même pour finir l’immondice. Vers le haut, vers l'angélique il n’y a pas grand monde mais plus tu vas vers le bas et plus il y en a du monde. Des complotistes, des malheureux et des très méchants. Harcèlements, haine des autres que soi, meutes de petite ressemblance.

Quand ça finit, tout au bout près de l’aube, tu es tout seul sur ton recueil de poubellication et il faut bien avec le soleil que ça cesse, que ça reparte vers le haut. Fleurissent pourtant quelques pensées. Les fleurs du mal.


Donc la tentation est incessante qui nous fait pencher vers le facile, se suffire en solitaire, rêver au miroir de nos désirs.

C’est le nom des réseaux, des vertiges et de l’infini miroitement du « tout possible ».

Tout est possible, ce qui revient à boucler le cercle des désirs : « je suis la plaie et le couteau » une esthétique circulaire alimentée par la rumeur du bas-fond.

L’infini digitalisé, à portée de clics, de Charybde en Sylla des nuits entières, la tentation méphistophelesque d’un sourire carnassier qui nous alimente en pire. Le confinement avec le ressassement.

C'est la matière d’Aesthetica, toute nouvelle création de la compagnie Tango Unione de Patrice Meissirel, brillamment (en lumière) portée par ses interprètes, au travers de proférations, de soliloques du pire mais également par la générosité d'un geste, d'une sensualité presque sainte et souvent par la drôlerie de l'excès.

Quand le tour est fait des sanies, des combats fatals et des vociférations, quand les propositions prostitutionnelles, influenvoleurs bateleurs de danse on line désopilants et la fange du plus bas ont été épuisées, où les pensées faciles avaient pu trouver accueil, il ne reste que le corps, l’innocence des corps.

Et c’est ainsi que toutes les expressions de l’exultation dansée surgissent : tango, claquettes, hip-hop et contorsions contemporaines, dans une innocence combative inspirée cœur à corps de l'irrésistible Kill Bill de Tarantino. Il s'y déploie une énergie telle celle de jeunes ardents comédiens dans ces premiers spectacles où rien n'est gardé sur l'os. Tout est donné, à la limite de la casse, du combat fatal. L'exténuation des rondes se résout dans une presque pieta récitative où la puissance d’être se libère des images pour puiser dans le corps dansé, éperdu, une authentique tendresse méditative, une fleur du mal baudelairienne.

Ovation debout du public enthousiaste d’être aussi dérouté puis enseigné.

Merci les artistes.


Æsthetica , une création de Patrice Meissirel et Irene Moraglio, 
sept danseurs, une déclameuse, un beat-maker, en tournée en Novembre 2023

 

2 juin 2023

Proust dans les taxis de Buenos-Aires

 

A toute heure, une conversation impromptue

Dans le taxi qui me mène vers le MALBA (Museo de Artes latinos de Buenos Aires) , après un long silence tranquille je parle de tango avec le chauffeur car en dépit du soleil je garde mon écharpe , après avoir passé une partie de la nuit sous le climatiseur de la milonga.
Après m’avoir assuré qu’il rêvait de danser le tango à 15 ans, qu’il pensait à 20 ans commencer pour ses 30 ans, je m’amuse de l’imaginer s'y mettre vraiment à la retraite et il me rétorque qu’à présent dépassant les 40, il envisage de prendre une année de cours particuliers afin de "parvenir au niveau des grands danseurs".
Puisque je suis français, il me précise que au sixième tome de la recherche du temps perdu il y a un passage passionnant sur le tango. Nous énumérons les différents livres de la Recherche en nous les remémorant ravis puis dans ce développement littéraire, lui demandant ce que je dois donc lire d’argentin, il me recommande Borges également en me disant que c’est le grand écrivain d’ici le grand passeur et qu’ il a été prisonnier de conflits idéologiques déplacés mais que c’est la source de l’Argentine. Il lui doit la Divine Comédie et Dostoievski. Moi je lui dois 680 pesos mais il récuse mon pourboire.
En quelle autre ville ces conversations qui suspendent le temps ?

Deux jours plus tard , dans un autre taxi, un rock ancien m’accueille sur les sièges fatigués. Lou Reed. Radio ou compilation ? Je demande.
Compil personnelle. Des heures de jazz et rock qui lui réchauffent le cœur pendant ses longues journées. Le taxista a vu Queen 3 fois et nous finissons de traverser Buenos-Aires avec Léonard Cohen en remontant les généalogies européennes de lui et sa femme.