30 avril 2013

Différence des genres, quand les Dieux s’en mêlaient

Il se donne en ce moment à Saint-Denis, proche de Paris, dans une mise en scène de Jean-Pierre Vincent une pièce qui explore les contournements de l’amour quand la société impose ses cadres.

Etant « évident » qu’une fille sera un fardeau pour ses parents vieillissants, un père de famille oblige son épouse à mettre au monde un garçon ou à se défaire (mettre à mort) de la fille qui viendrait à naître. Cela ne se passe pas en Inde, en Chine ou chez des talibans dotés d’échographies modernes mais dans une antiquité redessinée par un jeune auteur du XVIIeme siècle, Isaac de Benserade.

Evidemment c’est une fille qui naît et la mère, afin de la protéger, l’éduque en jeune garçon.

C’est à peu près jouable en un temps où finalement le vêtement disait l’ordre : encore au début du XXeme siècle, comme on portait chapeau, casquette, béret, tel on était.


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Mais ce jeune « garçon » grandit et fatalement tombe amoureux d’une fort jolie demoiselle. Tous les parents s’en réjouissent, sauf la mère qui sait qu’il y aura dévoilement de la vérité des corps et fatalement désastre social, amoureux et sentimental.

Cette comédie des apparences agence, de proche en proche, une cascade d’autres séductions des protagonistes et témoins puisque ce jeune auteur sait qu’on aime souvent en dehors du prémédité mais toujours dans le malentendu.

Chacun attend donc la vérité de la nuit pour que le genre prétendu s’ordonne avec le sexe naturel. La surprise est double : 1. l’amour n’en est pas empêché, ces filles s’aiment intimement et sont difficiles à séparer publiquement (pas de mariage pour toutes, ici).

2. Isis, en écho des métamorphoses d’Ovide, accomplit cependant chez le jeune époux la transformation à laquelle il/elle aspirait et il se trouve affublé d’un sexe masculin qui lui confère l’attribut qui lui était socialement nécessaire..  Le danger était violemment proche, signalé par le père de la mariée (Eric Frey), dont le jeu inquiète, menace et dissimule sous le voile de l’incrédulité.

On rit beaucoup pendant la pièce, et pourtant avec mélancolie car finalement, les métamorphoses d’Ovide sont un contournement de l’impossible : les héros meurent mais sont transformés en astres, en plantes qui disent pour toujours la passion ou le destin. Ils échouent à vivre mais témoignent dans un autre ordre. De ce point de vue les jeunes Iphis et Ianthe restent prises dans leur impasse de vie et s’en tirent par subterfuge d’auteur, de Dieux, d’actrices et de metteur en scène. Tout cela n’aura-t-il été que « pour faire parler les théâtres de nous » ? se demandent les personnages. La réponse est oui. De même que les péripéties des films d’Hollywood ne peuvent précisément pas se produire dans la vie, ces événements se produisent sur la scène théâtrale car impossibles dans la société du XVIIeme siècle. Notre siècle regarde ces péripéties comme une curiosité, puisqu’à présent notre désir est un dieu.

Iphis et Iante, d’Isaac de Benserade, mise en scène de Jean-Pierre Vincent
jusqu’au 6 mai au Théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis. www.theatregerardphilippe.com