29 septembre 2013

Grand Central, les liens nucléaires

Le générique annonce la couleur : du rouge, du cœur, du danger, du son.
Grand Central parle de l’essentiel : le cœur nucléaire du monde contemporain, le cœur des fraternités de travail, le cœur des incendies amoureux.

Le film de Rebecca Zlotowski est littéralement humble : à hauteur d’homme, d’ouvrier, à hauteur de terre. Humains surplombés par les tours, avalés par la gueule du réacteur.
Humble car il s’attache aux sans-grades, aux hors-classe, ni cols blancs, ni cols bleus : les mercenaires du nucléaire. Bien payés, solides, défiés par le danger et la fourberie des radiations.
Ça évoque les films de Renoir, le Gabin de la Bête humaine, avec les corps massifs d’ouvriers, la tonitruance de ceux qui exposent leur corps. On s’y frotte la peau pour la décontaminer, pour s’empoigner, pour s’aimer.

Le management « réaliste »
Les managers et les RH apparaissent furtivement, pour l’embauche et quand ça va mal. Des femmes à chaque fois, pas très compassionnelles : à l’embauche, à chaque mention de compétence douteuse, la recruteuse commente d’un « Ça ira... ! » qui étonne le candidat, lui-même baratineur.
Quand il y a dépassement des doses, la responsable surgit, pas hostile mais brutale, réaliste, cash. On est loin du manager-coach, plutôt dans la culture de mercenaire, de chantier précaire. conducteur de travaux : efficience, compréhension des transgressions dans le respect de l’objectif final. Sentiment pour tous d’être au cœur de « la vraie vie. »
C’est que l’essentiel tient dans l’exposition au risque, soutenue par l’argent « facile » et la fraternité du camp des intérimaires : solidarité, formation, exubérance.

L’inclusion des exclus
Ce film montre également toute la porosité entre précarité et mercenariat salarié sur un mode documentaire rarement abordé au cinéma. Vaguement délinquants, petits casiers, larcins opportunistes, ils cherchent tout de même à travailler, au gré des engagements. Quand ils achètent une voiture c’est à des gitans, l’argent est liquide, on se le prête, on se le rend en billets pliés, tenus dans la paume.
Le film suit Gary, un jeune qui découvre le métier, le groupe et comprend peu à peu comment son corps est utilisé par la Centrale (qu’il s’agisse du réacteur ou de la femme).
Du coup, les anciens, ceux qui savent, ceux qui ont « combattu » forment, constituent les équipes. Ils apprennent les gestes, les comportements, les attitudes (la faute est toujours collective, la solidarité de fait nécessaire) et font office d’instructeurs. Les deux acteurs sont magnifiques d’humanité redoutable, protecteurs et prédateurs. Olivier Gourmet a souvent engagé sa démesure personnelle dans des rôles de cadre borderline : dans Le couperet, il incarnait un responsable commercial tragiquement humain, que son rival n’osait pas supprimer tellement il était « vivant ». Dans L’exercice du pouvoir, son personnage de ministre déployait un hubris pathétique et efficient jusque dans les risques extrêmes.
Ici, dans Grand Central, il organise la vie et la survie d’une petite communauté échouée en environnement hostile. Payé en billets, perdu en amour. Ne restent plus que les hommes.

Le féminin comme recours
Les rares femmes ouvrières sont héroïques : douceur et dureté, sentiments et silence. Sur le mode d’un Giono ou d’une Annie Proulx, elles sont celles qui rendent possible la durée, la paix et les moments d’abandon naturaliste (s’allonger dans les herbes, dériver dans une barque).
Le manager ici n’intervient pas, il définit un cadre, une finalité et donne à « l’équipe » les moyens (techniques, financiers, organisationnels) de réaliser, à tout prix, la mission.
Dans cette inhumanité surgit l’humanité et c’est passionnant, tant au cinéma qu’au travail.